La nef des damnes
knörr, le Normand Bjorn, mais aussi le géographe et celle que Richard avait exigée comme part de butin quand tout serait fini : la jolie Eleonor.
— Mais c’est le pèlerin de Compostelle que j’ai débarqué à La Rochelle ! s’écria Corato, stupéfait.
— Maître Richard ! s’écria Bjorn de Karetot.
— Le soi-disant drapier qui rame comme un marin ! grommela Harald.
Richard s’arrêta à quelques pas d’eux. Une expression satisfaite sur les traits.
— Oui, c’est bien moi, mes beaux sires. Maître Richard ! Le drapier. Je suis sûr pourtant que le sire de Tarse avait deviné mon rôle, dit-il. Où est-il ? C’est à lui que je veux parler.
— Derrière vous, maître Richard, derrière vous, répondit l’Oriental.
Le pirate se retourna :
— Le bonjour, messire. N’est-il pas vrai que vous m’aviez percé à jour ?
— L’espion ne pouvait être que vous, maître Richard, ou doit-on vous nommer autrement ?
— Richard est bien mon nom. Je suis l’un des frères du Diable de la Seudre, l’homme qui a juré votre perte à tous.
— Ce que je ne sais pas, reprit Hugues, c’est comment votre frère a su que nous transportions le trésor.
— L’argent, messire ! Même au palais de Caen, il est bien des barons normands qui ne résistent pas à son attrait.
— Que resterait-il à la cour, si on y supprimait la trahison ? répliqua Hugues.
— Nous avons failli vous avoir à Maillezais, messire. C’était une de mes idées.
— Un mauvais plan, remarqua froidement Hugues que ces fanfaronnades agaçaient. Vous y avez perdu davantage d’hommes que nous.
Une grimace figea les traits du pirate.
— Venons-en au fait, que voulez-vous ?
— Vous avez raison, venons-en au fait, répliqua Richard, dans les yeux duquel s’était allumée une lueur féroce. Vous êtes en mauvaise posture, messire, et vous tous ici aussi. Nous sommes plus nombreux que vous. Nous tenons le jarl, messire d’Anaor et les moines du Castelas. Si vous voulez les revoir vivants, il faudra nous abandonner le trésor du roi Henri.
Hugues fit taire Harald et Knut auxquels l’arrogance du pirate avait arraché quelques jurons bien sentis dans leur langue. La nouvelle de la chute du monastère avait ébranlé l’Oriental, mais il savait qu’il devait rester impassible.
— Dites à votre maître qu’il n’aura rien tant que je n’aurai pas vu de mes yeux ces hommes vivants devant moi.
Un vilain sourire déforma la bouche de l’ancien naufrageur :
— Vous ne savez pas encore à qui vous avez affaire, messire de Tarse. À Maillezais, il est vrai, nous avons perdu des hommes, et depuis, mon frère est en colère. En grande colère. Il se doutait de la réponse que vous feriez et il vous envoie ceci afin de vous aider à réfléchir.
Richard jeta le paquet sanglant aux pieds d’Hugues. Celui-ci ne broncha pas, rien sur son visage ne montra l’émotion qui l’avait envahi. Pendant un bref instant, il envisagea que peut-être dans ce linge étaient les restes de celui qu’il aimait comme un fils. Une terrible douleur le fouailla, vite remplacée par un sentiment de fureur absolue.
Si ceux-là avaient tué Tancrède, il les étriperait jusqu’au dernier. Il resta ses yeux noirs plantés dans ceux de Richard qui, mal à l’aise, finit par baisser les siens. Lui qui était venu en vainqueur ! Devant ce diable d’homme, il ne se sentait plus si sûr de lui ni même des plans de son frère.
Sur un signe d’Hugues, Knut s’était agenouillé pour défaire les nœuds. Eleonor se voila les yeux, étouffant un cri. Bertil, qui se tenait derrière elle, devint livide. Knut avait lâché le tissu et s’était redressé. Devant eux grimaçait la tête coupée de l’abbé Censius.
— Si vous ne voulez pas d’autres cadeaux comme celui-là, essaya de fanfaronner Richard, hâtez-vous de nous donner ce que nous demandons.
— Votre maître manque de patience, observa Hugues. Dites-lui qu’avec nous ce genre d’intimidation ne marche pas. Je veux voir le jarl, Tancrède et les autres moines ici et vivants. Sinon, quoi qu’il m’en coûte, je jetterai le trésor par-dessus bord et nous nous battrons jusqu’à notre dernier souffle.
Vaincu par l’attitude inflexible de son vis-à-vis, Richard recula d’un pas. Il s’attendait à ce qu’au moins la vue de la tête coupée le fasse réagir, mais rien, pas même un froncement de sourcils n’avait trahi les émotions
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