La nièce de Hitler
générations personne en Allemagne ne saura qu’un Juif appelé Jésus a
jamais existé.
Les voitures pour Berlin arrivaient dans la
gare et Hitler se tordit le cou pour voir où était le wagon de première classe.
— Je suis catholique, dit Geli. Maman
aussi, et Léo aussi.
— Je l’étais aussi. Mais j’ai laissé
tomber les enfantillages.
Un taxi les
conduisit chez Aloïs Hitler junior qui habitait au deuxième étage d’une maison
de Luckenwalderstraße, et ils furent accueillis par sa seconde femme, Maimee, dans
un appartement décoré dans les tons violets où s’entassaient tant de tableaux
et de meubles hérités qu’elle devait les contourner pour servir le café.
Angela et Geli, mal à l’aise, s’installèrent
sur le sofa, puis Adolf vint se coller contre sa nièce, et sa main était si
comprimée qu’il la posa d’abord familièrement sur la cuisse de la jeune fille
avant de choisir la sienne. Ils faisaient tous les trois face au plus bel
élément du salon, une nouvelle peinture à l’huile d’Adolf Hitler grandeur
nature, dans une pose avantageuse avec son uniforme de SA et son regard d’« homme
prédestiné ».
— Je suis vraiment si sensationnel ?
demanda-t-il.
— Ce que les peintres n’arrivent jamais à
rendre, c’est votre modestie, répondit Geli sans sourire.
— Ah, vous êtes tous là ! s’exclama
Aloïs Hitler, en entrant dans la pièce d’un pas allègre, les bras écartés.
À quarante-huit ans, il avait taillé sa
moustache pour qu’elle ressemble à celle de son demi-frère, mais avec ses
lunettes sans monture et ses cols durs il avait toujours tout du serveur de
wagon-restaurant, et il sembla bien trop désireux de plaire lorsqu’il fit signe
d’avancer à son fils aîné, William Patrick Hitler, qui était venu de Londres en
vacances, et qu’il avait vu pour la dernière fois en 1913 à Liverpool.
Willie, comme on l’appelait, avait près de
vingt ans et travaillait, leur apprit Aloïs, comme dessinateur dans une firme d’ingénieurs
de Wigmore Street. C’était un jeune homme mince et assez beau, vêtu d’un
costume de tweed gris, aux yeux tristes et à la tignasse brune peignée en
arrière d’un front haut.
— Mon allemand pas bon, dit Willie.
— Oh, mais vous avez de la chance, mon
jeune ami anglais, fit Hitler gaiement en secouant le genou de Geli, ma petite
Geli parle votre langue aussi bien que la reine.
Willie soupira d’aise et dit en allemand :
— Quelle illustration !
Aloïs corrigea Erläuterung en Erleichterung.
— Ah oui, dit
Willie, quel soulagement !
— Comme des télégrammes nous parlerons, dit
Geli en anglais.
— Herr Doktor Hanfstaengl et moi venons d’écrire
un article sur les élections pour le Sunday Express, dit Hitler. Et j’ai
une interview avec le Times de Londres dans le courant de la semaine. Je
vois tout le temps des journalistes. Vous comprenez mon allemand, Willie ?
Le neveu d’Hitler hocha la tête et dit que oui.
— Imbécile ! Tête de bois ! hurla
Hitler avec une fureur inattendue. Vous pensiez que je n’entendrais pas parler
des journaux américains ? Seul Adolf Hitler peut parler d’Adolf Hitler !
Je ne tolérerai pas que vous ou votre mère, Bridget, ou toi, Aloïs – ou qui que
ce soit – pensiez que l’on peut me grimper sur le dos et chevaucher
gratuitement vers la célébrité !
— Tout ce que voulait ce type de Hearst, dit
Willie à son père en anglais, c’était une photo de moi. Et quelques questions. Je
ne me doutais pas…
Ne connaissant que trop les colères d’Hitler, Geli
se leva en soupirant.
— Si nous aidions Maimee à préparer le
café, maman ?
— C’est justement ce que j’allais faire, dit
Angela en se levant aussi.
Maimee était debout derrière la porte de la
cuisine, les bras croisés, l’air effrayé, stupéfaite par cette crise de rage.
— Nous pensions qu’il serait content, dit-elle
à Angela, et ça payait bien.
— Quel journal ?
— L’American de New York.
Elles entendirent Aloïs dire à Adolf :
— Mais j’ai dit combien tu étais bon et
généreux quand tu étais petit !
— Et « la vie imaginaire » de
mon enfance ? Est-ce que je suis vraiment « éloigné de la réalité » ?
Même vos mensonges sont idiots ! Je balayais les rues pour survivre à
Vienne ? J’étais peintre en bâtiment à Munich ? Je posais du papier
peint ?
— Ils m’ont fait dire ce que je n’ai
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