La nièce de Hitler
la tête de ses mains douces et féminines pour qu’elle puisse voir
comment les murs avaient été sablés et peints, les balcons ajoutés aux fenêtres,
et l’immense drapeau rouge et noir des nazis accroché au-dessus de l’entrée
principale.
— Vous avez fait du bon travail, dit-elle.
— Tu veux connaître les détails techniques ?
Combien d’heures de travail il a fallu, par exemple ? Combien d’échafaudages
en bois, combien de tonnes de ciment ?
— Pas vraiment, fit-elle avec un pauvre
sourire.
— J’ai mémorisé tous les éléments.
— Voir me suffit.
— Sous la république de Weimar, c’est une
ambassade étrangère, fit Hitler en regardant la Maison brune d’un peu plus loin,
le front plissé. Nous allons bientôt changer cela.
Et il lui prit la main pour lui faire passer
la grande porte de bronze gardée par quatre sentinelles aux visages durs
portant l’uniforme noir des Schutzstaffeln, qui présentèrent la version nazie
du salut fasciste en hurlant « Heil Hitler ! ».
Les sols étaient du marbre le plus poli, les
murs lambrissés d’une belle marqueterie de chêne, et des croix gammées avaient
été imprimées dans le plafond de stuc ou gravées dans le verre fin des vitres. Les
quarante Gaue étaient représentés dans le hall par leurs étendards
révolutionnaires rouge sang, tous inclinés en signe de respect vers deux
monuments de bronze portant les noms des seize nazis tués devant le
Feldherrnhalle, lors du putsch de 1923.
Il la fit descendre dans le bureau des
archives aux chromes rutilants, où des classeurs d’acier ignifugé renfermaient
les dossiers personnels de cinq mille membres du parti.
— Nous arrêterons les inscriptions quand
nous serons un million, dit Hitler. Si nous ne pouvons pas réussir avec un
million de membres, nous ne pouvons pas réussir du tout.
Puis il la ramena à la salle des sénateurs du
rez-de-chaussée, où les plus hauts dignitaires du parti seraient invités pour
des conférences, et s’assiéraient sur soixante sièges de marocain rouge
disposés en fer à cheval sur deux rangs, face, naturellement, au Führer. Des
bustes héroïques d’Otto von Bismarck, le premier chancelier de l’Empire allemand,
et de Dietrich Eckart, qui était mort peu après le putsch et à qui Hitler avait
dédié Mein Kampf, trônaient sur des socles à côté de quatre plaques
illustrant les phases de l’évolution du parti depuis dix ans : sa
formation, la proclamation de son programme, sa défaite au Feldherrnhalle, et
son renouveau après la libération d’Adolf Hitler de Landsberg am Lech. Mais
quand il montra la salle des sénateurs à Geli, Hitler laissa entendre qu’il la
trouvait trop parlementaire, trop semblable au Reichstag qu’il détestait, et
elle eut l’impression que cette salle ne serait jamais utilisée.
Toujours au rez-de-chaussée, de larges portes
ouvraient sur un élégant restaurant, où une douce lumière blonde éclairait des
murs de chêne à motifs de chevrons, des chaises de damas or, et des tables de
marbre ocre. Des serveurs étaient encore là une fois le déjeuner fini, occupés
à ranger la porcelaine de Dresde et l’argenterie, à disposer des fleurs de
serre dans des vases de cristal, à passer l’aspirateur sur les tapis de peluche
rouge. Chaque tissu, chaque coloris, chaque ornement avait été personnellement
choisi par Hitler.
Les bureaux de Hess, de Himmler, de Goebbels, de
Göring, de Schwarz et d’autres responsables du parti se trouvaient aux deux
premiers étages. Chaque table de travail était parfaitement dépouillée, à l’exception
d’un téléphone noir, d’un bloc et d’un stylo-plume, et d’une photographie
encadrée d’Hitler. Dans chaque couloir était accroché un portrait du Führer, et
sur un mur il y avait une carte verte de l’Allemagne, les villes et les
villages marqués par une croix gammée noire.
Le bureau d’Hitler était plus imposant et bien
trop grand, mesurant environ cinquante pas d’une porte à l’autre, les murs
recouverts de daim brun-rouge, des fenêtres allant jusqu’au plafond donnant sur
Königsplatz, un somptueux tapis rouge qui sembla aussi moelleux qu’un matelas
sous les pieds de Geli, une grande cheminée, un sofa doré et des chaises à une
extrémité, et à l’autre deux chaises de bureau devant un immense bureau ministre,
chargé de ciselures, et vierge de tout crayon. Un portrait en pied à l’huile du
magnat de l’automobile
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