La nièce de Hitler
cheveux bruns mouillés sur son front, les
séparer consciencieusement, se relever, et secouer la tête pour que sa mèche
retombe sur le côté gauche. Ce n’est qu’à cet instant qu’il semblait remarquer
sa présence, le plus souvent en lui baisant la main et en la complimentant sur
sa beauté, mais parfois il boudait comme si elle l’avait offensé, et même une
fois il avait piqué une colère terrible parce qu’il avait trouvé une toile d’araignée
en équilibre précaire dans l’encadrement de sa fenêtre.
Rudolf Hess était désormais le secrétaire
particulier d’Hitler et recevait un salaire de trois cents Reichsmarks par mois. Tous les jours à midi, Hess arrivait de la pension Moritz, s’emparait
des lunettes d’Hitler et soufflait affectueusement sur les verres avant de les
essuyer avec son mouchoir, puis restait debout à côté de son Führer, solennel
et patient, sans prononcer un mot tant qu’Hitler n’avait pas terminé sa revue
de presse. Geli apportait un plateau d’Apfelstrudel et d’infusion de
pelures de pommes, puis les hommes parlaient politique et économie pendant qu’elle
allait plier le pyjama de son oncle, faire son lit, ramasser le linge sale, passer
l’aspirateur dans sa chambre, frotter les meubles à l’huile de lin et les
vitres, les miroirs et la robinetterie de la salle de bains à l’eau ammoniaquée.
Ensuite elle était libre pour l’après-midi. Elle
passait des opéras sur le gramophone et chantait avec les sopranos ; elle
faisait de la couture, remplissait des grilles de mots croisés ou lisait des
romans-feuilletons qu’elle suivait dans cinq ou six magazines à la fois. Souvent,
on organisait des pique-niques composés de sandwiches, de fruits et d’eau
minérale. Ou alors un Schaub morose se voyait contraint de l’emmener au Königssee
pour un plongeon dans l’eau froide, ou bien elle se promenait à l’ombre avec
son oncle et Prinz, et Hitler lui montrait comment, avec des gésiers frits de
poulet, il dressait son chien à grimper à une échelle, à marcher sur une
balustrade, sauter par-dessus une barrière de deux mètres, venir au pied, s’asseoir,
se coucher, ramper, faire le beau, faire le mort. Chaque après-midi, il se
rendait avec Prinz dans le même coin de son terrain, ramassait le même bâton, et
le lançait dans la même direction, six fois de suite, avant de rentrer à la
maison.
Les tâches du soir commençaient à huit heures
pour les deux femmes, avec la préparation d’un dîner tardif. Geli dressait la
table dans la salle à manger avec un service en porcelaine Rosenthal et des
serviettes en lin irlandais, puis disposait des fleurs sauvages dans un vase
Steuben, cadeau de Frau von Seidlitz. Lorsqu’il y avait des invités, Angela et
elle dînaient dans la cuisine, et avec lui lorsqu’ils n’étaient que tous les
trois. Avec le dîner, ils buvaient un Liebfraumilch ou un Moselblümchen, ou
bien, s’ils mangeaient de la Zungenwurst , une bière Salvator bien forte.
Après avoir rangé la cuisine, elles allaient se détendre dans le jardin d’hiver
avec le café et le dessert, en écoutant tranquillement Wagner, ou le flot de
paroles d’Hitler qui donnait son opinion sur Charlemagne, la puérilité de
Mozart, la physique du vol, les westerns de Karl May, les produits
pharmaceutiques du futur, les chevaux – qu’il détestait et ne montait jamais –,
le rouge à lèvres, lequel, affirmait-il, était fait avec de la cire et des
résidus d’égouts, pourquoi le chou rouge était supérieur au chou vert, pourquoi
le Champagne provoquait des migraines, pourquoi les enfants des génies étaient
bien moins doués que leurs parents, de son projet d’offrir le plein emploi à l’Allemagne
grâce à la construction d’un réseau d ’Autobahnen, de son espoir de voir
fabriquer en série une automobile bon marché pour les gens ordinaires, qu’il
appellerait Volkswagen.
Toutefois, Hitler évitait généralement les
diatribes contre les Juifs et ses ennemis politiques quand il était à Haus
Wachenfeld, et au cours de ce premier été, il ne reçut qu’une seule visite d’un
autre responsable du parti que Rudolf Hess. Il s’agissait de Franz Xaver
Schwarz, ancien comptable du service financier de la municipalité de Munich, qui
avait perdu son emploi après le putsch et était devenu trésorier du parti. Il
vint avec une valise qu’il tenait bien serrée et laissa à Hitler après son
départ. Geli présuma
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