La nièce de Hitler
lorsque j’ai touché la première moitié du
paiement, je n’ai pu m’offrir qu’un appareil reflex. Avec la deuxième partie, je
n’ai même pas pu me payer une demi-douzaine d’œufs ». Il s’était associé
avec deux amis pour faire un film muet, une comédie sur un coiffeur qui
fabriquait une potion censée faire pousser des crinières formidables sur les
têtes chauves, jusqu’à ce que son apprenti – qui, malheureusement, n’avait rien
d’un Charlie Chaplin – fasse tout rater. « L’Allemagne n’a pas trouvé cela
drôle. » Il vécut ensuite au jour le jour et adhéra au parti nazi, avec la
carte n°427. Peu de temps après, il reçut un télégramme d’une agence américaine
lui offrant cent dollars, une fortune à l’époque, pour une photo d’Adolf Hitler.
Et il se rendit compte que des centaines d’autres recherchaient des photos de
cet homme célèbre, et qu’il n’en existait pas une seule.
Vautrée sur un sofa, les bras croisés, Henny
avait retiré ses chaussures et posé les pieds sur une table basse.
— Bref…, dit-elle d’un ton las.
Hoffmann soupira.
— Les enfants n’ont aucune patience. Donc,
pour aller vite, j’ai gagné la confiance du Führer et j’ai pris une photo d’Adolf
Hitler avec mon gros Nettel 13x18. Et vous me croirez si vous voulez, j’ai
vendu les droits internationaux du négatif pour vingt mille dollars !
— Et à présent, vous pouvez vous acheter
tous les œufs que vous voulez, dit Geli, ce qui fit rire la fillette sur le
sofa.
— Et c’est pourquoi je fête l’anniversaire
de votre oncle. Tout ce que je possède, c’est à lui que je le dois. Tout. Je
suis son seul photographe depuis 1923. Tous ceux qui essaient de le prendre en
photo ont leurs plaques détruites par les SA. Et c’est ce monopole, sans parler
de la gentillesse de Herr Hitler, qui a permis à ma famille d’avoir cette
maison, nos domestiques, ma Daimler et mon Opel, mon pied-à-terre berlinois à l’hôtel
Kaiserhof.
Emil apparut sur le seuil de la bibliothèque.
— Il est là, annonça-t-il.
Henny se leva d’un bond et sortit de la pièce
avec son père. Emil attendit Geli. Tous les invités étaient joyeusement
entassés dans le hall d’entrée et acclamaient Hitler qui montait péniblement l’escalier,
les yeux cernés de fatigue, strict dans sa queue-de-pie, sa chemise empesée, son
nœud papillon et ses souliers vernis.
Emil désigna à Geli une rayonnante actrice de
Berlin qui paradait dans une robe des plus transparentes. Un cadeau consentant.
— Nous lui avons concocté une petite
surprise, murmura Emil.
Dès qu’Hitler pénétra dans le hall, les
invités hurlèrent frénétiquement « Bon anniversaire ! » et il
sourit, dévoilant fugacement ses dents brunes et carrées, mais à cet instant l’actrice
se précipita sur lui et l’embrassa à pleine bouche sous les cris, les sifflets
et les plaisanteries. Hitler se contenta de se raidir en entendant les rires, lança
à l’actrice un regard furibond qui l’effraya, et lorsque celle-ci se recula craintivement,
le visage du Führer devint blanc de rage. Un froid silence s’abattit sur la
maison alors qu’il jaugeait gravement ses admirateurs, avant de tourner les
talons et de sortir furieux.
Sans lui, la fête était finie.
VIII
Haus Wachenfeld, 1927
La première fois qu’Hitler alla dans l’Obersalzberg,
ce fut en août 1922, lorsqu’il prit des vacances à la pension Moritz sous le
nom de Herr Wolf. Le docteur Sigmund Freud et le dramaturge autrichien Arthur
Schnitzler y séjournaient également, mais, sachant qu’ils étaient juifs, Hitler
s’abstint de leur adresser la parole. Même en été l’air alpin était aussi pur
que de la neige fraîche, aussi faisait-il les cent pas sur son balcon jusque
tard dans la nuit pour le respirer jusqu’à en avoir mal à la poitrine. Le sel extrait
des mines de Berchtesgaden était censé être si bienfaisant qu’il en prenait de
longs bains de pieds chauds juste avant de se coucher et de nouveau le matin, tout
en feuilletant avidement les journaux à la recherche de nouvelles de lui-même. Lorsqu’il
partait pique-niquer seul au sommet du Hoher Goll, il avait une vue plongeante
sur des terrains agricoles verdoyants et des villages de pierre blanche, et il
pouvait admirer les nuances de grès de Salzbourg vingt kilomètres au nord, les
pics gris ardoise tout déchiquetés des montagnes massives d’Untersberg et de
Watzmann,
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