La nièce de Hitler
qu’elle contenait l’argent nécessaire à la vie oisive de
chômeur professionnel que menait Hitler.
La cinquantaine, Schwarz était bien plus âgé
que la plupart des autres nazis qu’elle avait rencontrés ; c’était un
homme austère, grisonnant, avec un front haut, des lunettes noires de hibou et
une petite moustache grise. Comme Hess, il vouait à Hitler une dévotion totale
et mélancolique ; comme Prinz, il se soumit de bon gré à la démonstration
de ses talents qu’Hitler voulut donner en spectacle à Geli, multipliant mentalement
des nombres à cinq chiffres, additionnant les populations de l’Allemagne, de l’Autriche
et de l’Angleterre, et retranchant celles de la Belgique et de la France. Lorsque
Hess eut consciencieusement vérifié les résultats par écrit et les eut
proclamés exacts, Hitler se tapa sur les cuisses de contentement, et déclara
que Schwarz était justement ce dont le parti avait besoin, l’intellect pur d’une
machine à calculer doublé de l’esprit d’un Knicker, d’un radin.
Schwarz rougit devant le mépris caché sous le
compliment et tenta de changer de sujet.
— Avez-vous l’intention d’adhérer au
parti, Fräulein Raubal ? demanda-t-il à Geli.
Elle essayait de trouver une réponse
diplomatique lorsque Hitler intervint.
— Ma nièce ne s’intéresse pas à la
politique, dit-il avec un geste agacé.
Elle ne s’était jamais sentie si heureuse, si
protégée. Lorsqu’ils entamèrent une discussion sur la politique étrangère, Geli
quitta vivement la table de la terrasse pour s’en retourner en jubilant dans la
maison.
Elle se mit à l’appeler
oncle Alf, et dans ses moments les plus tendres il l’appelait princesse. Elle n’avait
qu’à lever les yeux de son livre pour le voir regarder prestement ailleurs, à
se retourner soudain quand elle marchait pour le trouver en train d’observer
intensément le mouvement de sa robe. Parfois elle se sentait déshabillée. D’autres
fois elle se sentait protégée, chérie et adorée. Elle était son havre de paix, sa
promenade vespérale, son violon d’Ingres. Elle savait qu’Hitler la portait dans
son esprit comme un air fredonné qui ne serait jamais perdu. Comme une belle
maxime lue dans un livre ancien, dont il aurait fait sa devise.
Par beau temps, Angela servait leur petit
déjeuner tardif sur la terrasse, et, si Hitler ne les faisait pas fuir, de gros
choucas noirs descendaient de leurs aires dans les sommets pour réclamer des
offrandes de gâteaux. En quelques jours, histoire de tromper son ennui, Geli en
avait fait un jeu, testant d’abord les limites que les choucas ne dépasseraient
pas, puis leur semant une piste sinueuse de pignes de pin afin de voir jusqu’où
ils s’aventureraient dans la maison pour un petit extra.
Elle s’aperçut que celui qui restait le plus
longtemps à l’intérieur avait une aile cassée qui pendait tant que le bout de
ses plumes traînait par terre. Elle ne parvint pas à le soigner, mais elle l’appela
Schatzi, ou trésor, et lui apprit à sauter et à tournoyer pour avoir des miettes
pendant qu’elle sifflait du Strauss, ce qui donnait l’impression que le choucas
valsait.
C’était exactement le genre de tour un peu
cruel qui faisait tordre Hitler de rire, et il voulut que sa nièce le montre à
Helene Bechstein lorsqu’elle viendrait prendre le thé le 12 août, jour
anniversaire de la mère d’Hitler. Mais une heure avant le rendez-vous, Frau
Bechstein fit dire par sa gouvernante qu’elle préférait que ce soit eux qui lui
rendent visite.
C’est donc un Hitler agacé, vêtu de son plus
beau complet bleu marine, qui dévala en compagnie de Geli et Angela la pente de
trois cents mètres qui les séparaient de la magnifique villa Bechstein, laquelle
allait plus tard être réquisitionnée pour accueillir dignement Joseph Goebbels
et d’autres responsables du parti, ainsi que Benito Mussolini.
— Ils possèdent également Weissenlehen, dit
Hitler avec enthousiasme, en se baissant pour montrer à travers les arbres une
belle maison de l’autre côté de la route.
Angela leva les yeux au ciel à l’attention de
Geli. Un vrai gosse.
Elle s’était liée d’amitié avec Ilse Meirer, la
gouvernante de Frau Bechstein, qui les accueillit tous sur le seuil ; les
deux femmes allèrent prendre un thé au cumin dans l’immense cuisine blanche
tandis que, comme s’ils vivaient un conte de fées et que leur avenir était
incertain,
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