La nièce de Hitler
tintant au contact du fer-blanc.
Hitler montra alors à toute l’assistance un
gros plan austère qui le représentait en chemise brune et cravate noire, un
sillon creusé entre ses yeux froids de requin, sa bouche esquissant le
contraire d’un sourire, l’expression de son visage montrant un homme haineux en
train de savourer par avance les délices d’une vengeance féroce.
— Ça, c’est bon, dit-il.
— Il n’est jamais trop tard pour
apprendre, dit Hoffmann à Geli avec un clin d’œil ironique.
Puis Hitler rassembla quatre photos différentes
le montrant avec la casquette marron et l’uniforme des SA.
Geli le trouva ridicule, comme un enfant qui
se déguise.
— On garde ou on jette ? demanda
Hoffmann.
Le regard noir d’Hitler tournoya vers lui
comme la faucille d’un fermier dans un champ de blé, et le photographe chercha
les négatifs.
— Je vais le faire, dit Henny.
Son père lui tendit le marteau et elle se
régala à fracasser le visage d’Hitler sur le verre sombre, les tessons tombant
de sa main en une pluie assourdissante.
— C’est rigolo !
— Oh, là, là ! Vous en faites un
raffut ! s’exclama Angela depuis la cuisine, pendant que Geli se bouchait
les oreilles en grimaçant.
Mais son oncle regardait avec fascination et
ferveur la jeune fille briser les plaques, et l’encourageait en lui passant même
les bons négatifs, apparemment de plus en plus excité par le massacre, jusqu’à
ce que le photographe reprenne le marteau des mains de sa fille d’un geste
courroucé.
— Je crois qu’il est temps de déjeuner, dit-il.
Angela resta à Haus
Wachenfeld pour prendre le thé avec des amies, et Hoffmann conduisit le reste
de la maisonnée dans sa Daimler à sept kilomètres de Berchtesgaden, vers le
village de Ramsau et le lac Hintersee aux eaux vertes. Henny et Geli étalèrent
des couvertures à carreaux rouges sous les tilleuls et ils firent un
pique-nique composé de Champagne et de caviar, puis de limonade et de
sandwiches au jambon en regardant des pêcheurs à la mouche équipés de grandes
bottes vertes montant jusqu’aux hanches attraper des truites et des ombles
chevaliers, et les envelopper dans des algues avant de les jeter dans leurs
paniers.
Son chapeau mou de travers, sa cravate
violette passée sur son épaule droite pour ne pas la salir, Hitler mangea des
radis à la croque-au-sel en paressant à l’ombre, son pantalon marron relevé
assez haut pour que Geli aperçoive la marque rose des fixe-chaussettes sur la
chair blanche et glabre de ses mollets. Se dressant sur ses coudes pour
regarder Henny jouer avec un chaton, il raconta à sa nièce la légende selon laquelle
l’empereur Frédéric, l’antéchrist du Moyen Âge, était censé dormir sous la
montagne sacrée d’Untersberg, attendant patiemment un vol de corbeaux qui
annoncerait l’heure de la victoire sur tous les ennemis de l’Allemagne et l’unification
finale tant attendue des nations aryennes. Et il y avait de la vérité dans
cette légende, il en était sûr. La première fois qu’il était venu à
Obersalzberg, il avait senti une force magnétique le poussant à rester, et il
savait que, comme Zarathoustra, il était destiné à vivre dans ces montagnes
pendant dix ans, pour s’y endurcir, devenir dur et froid comme de la glace, se
réjouissant de la solitude, se forgeant un esprit d’acier. « J’aurai
atteint mon summum quand je pourrai observer mon ancien moi avec haine et pitié,
et cracher sur le destin que mes étoiles avaient déterminé pour moi. »
Il est d’un pompeux ! pensa Geli.
— Vous avez tout prévu, alors, se
contenta-t-elle de dire.
— En effet, répondit-il en se relevant
sur son coude droit pour lui faire face, joignant les mains avec la
satisfaction jubilatoire d’un banquier prospère. Est-ce que tu connais l’origine
du prénom Adolf ?
— Adolfus, non ?
— Athalwolfa, corrigea-t-il. Athal veut dire noble, et Wolfa, loup. Et maintenant un noble loup est né qui
mettra en pièces sanglantes le troupeau de ceux qui séduisent et trompent le
peuple.
Il accompagna ces paroles de son sourire laid,
carnassier, et généralement caché, et elle fut effrayée à la pensée qu’avec cet
étrange discours son célèbre parent était en train de la courtiser.
Décontenancée par cette attitude de séduction,
elle ramena sa robe sur les genoux en sentant le regard de son oncle se poser
de ses cheveux décolorés par le soleil à
Weitere Kostenlose Bücher