La nièce de Hitler
lavandière.
Hoffmann régla la vitesse et la bombarda, accroupi,
sur la pointe des pieds, marchant de côté, s’enfonçant même jusqu’aux chevilles
dans le Hintersee avec son pantalon de flanelle blanche.
— C’est pour vous que vous prenez ces
photos ? demanda Geli.
— Pour qui croyez-vous ?
— Oncle Adolf.
Elle entendit son silence, puis à nouveau l’obturateur.
— Pire que ça, dit-il enfin. C’est pour
les SA de Röhm. Nous en mettrons une dans chaque vestiaire.
Il fixa son rire sur la pellicule.
Ce soir-là, alors qu’Hitler
et ses invités attendaient le dîner sur la terrasse, le choucas de Geli fit son
apparition et Hitler cria à sa nièce d’interrompre la préparation du repas pour
montrer à Henny et à Heinrich un de ses tours avec l’oiseau.
Elle les rejoignit, tout essoufflée dans son
tablier blanc.
— On est en train de faire cuire les
steaks.
Puis elle prit un petit bout de tissu rouge et
le coinça dans une fente du mur. Elle émit quelques coassements et le choucas
vola jusqu’au morceau de tissu et le sortit de la fente.
— Remarquable, dit Hoffmann.
— Chut ! fit Hitler. Ce n’est pas
tout.
Elle coassa encore et le choucas vola vers la
table où Geli était installée, sautilla jusqu’à quelques centimètres de son
visage, et fit tomber le morceau de tissu de son bec.
— Et maintenant, fais au revoir, Schatzi,
dit la jeune fille.
Le choucas tendit son bec pour recevoir un
baiser, prit un demi-biscuit dans la main de Geli, et s’envola.
— Merveilleux ! s’exclama Hitler. Geli,
c’était formidable !
Et il se lança dans une frénésie d’applaudissements
interminables tandis qu’elle saluait, d’abord Hitler, puis Henny et son père, sous
leurs hourras et leurs félicitations, et à nouveau son oncle, qui continua à
battre des mains bien longtemps après que les autres eurent cessé, ses yeux
ravis remplis de larmes.
— Un vrai prodige, n’est-ce pas ? s’extasiait-il.
Elle est si belle, si douée ! Même les oiseaux lui obéissent !
— J’ai des steaks sur le feu ! rappela-t-elle
avant de rentrer dans la maison.
Quelques instants plus tard Heinrich Hoffmann
avait rejoint Geli dans la cuisine, pour y remplir son verre de vin. On
entendait encore son oncle vanter ses mérites.
— Vous avez une sacrée cote avec Herr
Hitler, dit Hoffmann.
Elle sortit le beurre de la glacière.
— Il a un nom, ce choucas ?
— Schatzi.
Il avala une gorgée de riesling, et sortit en
lui faisant un clin d’œil.
— Vous auriez dû l’appeler Adolf.
Le soir de son
arrivée à Haus Wachenfeld, Hitler avait donné à sa nièce une photographie
encadrée de lui – son cadeau préféré à ses amis – et le premier tome de Mein
Kampf. Toute contente, elle avait posé la photo sur sa table de nuit et
avait commencé à lire le livre dans son lit, mais s’était endormie au bout de
quelques minutes. Elle avait fait une autre tentative le lendemain, mais avait
trouvé la prose si infecte, les idées si venimeuses et contradictoires, le ton
si pleurnichard – quand il n’était pas pompeux –, qu’elle ne put aller plus
loin que le premier chapitre où il racontait son enfance à Linz. Tous les soirs,
pendant deux semaines, son oncle lui demanda si elle aimait son livre, dans le
but probable de lui faire honte pour l’inciter à le terminer enfin. Elle lui
répondait qu’elle ne l’avait pas fini, mais que jusqu’à présent il lui semblait
très bon.
Le 27 septembre, ils fêtèrent la dernière
soirée de Geli à Haus Wachenfeld, mais Angela avait tellement bu de riesling qu’elle
alla se coucher à neuf heures. En finissant son café, Hitler resta à regarder
Geli qui lisait un roman-feuilleton, puis il alla dans sa chambre, et quand il
revint dans le jardin d’hiver il avait mis ses lunettes et tenait le premier
volume de Mein Kampf à la main. Tirant une chaise en face de sa nièce, il
s’y assit lourdement et se mit à l’interroger.
— Où suis-je né, Geli ?
— Braunau am Inn, répondit-elle. 1889.
— Pourquoi est-ce que je n’ai pas
fréquenté un gymnasium ?
— Parce qu’on n’y enseignait pas le
dessin.
— Et j’avais quel âge quand mon père est
mort ?
— Treize ans, je crois.
— Et qu’est-ce que je dis là-dedans de la
mort de ma mère ?
Elle ne se rappelait pas.
— Pratiquement rien.
— Mon seul regret, dit son oncle. Mais je
dictais le livre à Hess, et cela me
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