La nièce de Hitler
regard.
— J’ai appris ma leçon ? demanda-t-elle.
Hitler n’était pas inintelligent.
— Oui, je le crains, répondit-il.
Et ce fut son tour d’être mal à l’aise. Il
appela Prinz et échappa au regard de Geli en jouant avec son chien ; il
fit mine de ne rien remarquer lorsque sa nièce monta dans sa chambre, l’air
hautain.
IX
La pension Klein, 1927
En octobre, elle s’installa dans le quartier
Schwabing de Munich, dans une chambre meublée toute blanche de la pension Klein,
au deuxième étage du 43, Königinstraße. La maison donnait sur le côté ouest du
Jardin anglais, si bien qu’installée à son bureau elle avait la vue sur les
pelouses vertes et les sentiers cavaliers, et elle n’était qu’à quelques pas de
l’université Ludwig-Maximilian où elle était inscrite à un cycle préparatoire
aux études médicales, qui comportait biologie, chimie, zoologie et anglais.
Tous les matins, Geli prenait un petit
déjeuner composé de petits pains, de fruits et de chocolat chaud dans la salle
à manger de la pension, puis, ses livres sous le bras, elle remontait Veterinärinstraße
en compagnie de son amie Elfi Samthaber pour son cours de biologie de huit
heures, dans l’amphithéâtre au rez-de-chaussée de l’université. Ensuite elle se
rendait à l’étage pour un cours d’anglais aux effectifs plus restreints, avant
une heure de liberté qu’elle passait généralement au café Europa situé
Schellingstraße, non loin du studio de photographie d’Heinrich Hoffmann et de
la rédaction du Völkischer Beobachter. Elle ne cherchait pas à y
apercevoir son oncle, car il n’était pas encore midi.
C’était une jeune fille affectueuse, qui
aimait s’amuser, douée pour les amitiés féminines et affable avec les hommes, et
elle n’aurait de toute façon pas manqué de compagnie, mais comme de nombreux
étudiants étaient fanatiquement pro-Hitler, elle se trouvait souvent au centre
de l’attention. On lui offrait du café italien, de beaux jeunes gens arborant
de récentes cicatrices de duel s’agglutinaient autour d’elle et la bombardaient
de questions sur son oncle Adolf – que le Münchener Neueste Nachrichten appelait « le roi sans couronne de Bavière » –, tandis que les autres
étudiantes observaient tout cela avec jalousie et des gauloises tenues tout
près de leurs visages.
Elle n’échappait aux regards qu’en se
réfugiant dans le laboratoire du rez-de-chaussée de l’aile consacrée à la
chimie. Elle y finissait ses devoirs d’anglais juste avant son cours de
zoologie, et après celui-ci elle gagnait sans se presser l’extrémité sud du
jardin anglais, jusqu’au très couru café Heck de la Galerienstraße, où son
célèbre parent installé à sa Stammtisch, sa table réservée et de plus en
plus recherchée au fin fond du café sur la droite, pérorait devant un groupe de
six ou sept auditeurs passifs et pleins de vénération.
Elle le voyait qui, tout en parlant, lançait
des regards agités dans tout le café, cherchant à apercevoir sa nièce, et dès
qu’elle arrivait, son visage s’illuminait et il se levait aussitôt, imité par
ses amis.
— Ah, voilà enfin ma princesse ! disait-il
en lui baisant les deux mains.
Toute discussion politique cessait – « Nous
ne mélangeons pas les affaires et la famille », avait-il objecté une fois
–, et il commandait un déjeuner tardif pour tous les deux, puis la questionnait
courtoisement sur ses études. Elle parlait anglais avec Herr Hanfstaengl, ne
disait rien à Herr Rosenberg qui tripotait sa fourchette ou sa montre-bracelet
lorsqu’elle était dans les parages, demandait à Herr Hess des nouvelles d’Ilse,
sa jeune épouse. Herr Hoffmann lui racontait la vie de lycéenne d’Henny, et
parfois on lui présentait un Gauleiter – un chef régional du parti – venu
d’Essen ou de Mecklenburg. Elle s’efforçait d’être charmante, les hommes d’Hitler
s’efforçaient de paraître charmés, et après avoir déjeuné elle trouvait une
excuse pour partir, de sorte qu’ils pouvaient tous retourner à leurs
préoccupations et à leurs projets.
Elle travaillait de quatre heures à huit
heures si son oncle était libre pour la soirée, ou jusqu’à dix heures lorsqu’il
parlait en public, puis elle passait une robe habillée et bavardait dans le
salon avec les autres pensionnaires jusqu’à ce que Emil Maurice apparaisse à la
porte d’entrée, piaffant d’impatience, la
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