La nièce de Hitler
Mercedes d’Hitler tournant au ralenti
dans Königinstraße, Hitler étant soit dedans à tambouriner des doigts, soit
encore dans son appartement miteux de célibataire de la Thierschstraße, en
train de se changer pour leur soirée en ville. Après le cinéma ou l’Opéra, ils
dînaient au café Weichard, près du Volkstheater, ou à l’Osteria Bavaria dans le
jardin de l’hôtel Bayerischer Hof, ou encore au Nürnberger Bratwurstglöckl am
Dom, puis, bien après minuit, Emil reconduisait Geli à la pension et amenait
son patron au café Neumaier près du marché aux victuailles, où il discutait
avec de vieux amis idolâtres jusqu’à trois ou quatre heures du matin.
Le week-end, elle était toute à lui à partir
de midi. Souvent, Henny Hoffmann les rejoignait pour déjeuner au salon de thé
du Carlton dans Briennerstraße. Hitler les flattait en les complimentant sans
fin sur leur beauté, et les amusait en imitant ses subordonnés pompeux. Puis
ils flânaient dans les galeries et les bijouteries ou les magasins de
chausseurs et de modistes autour de l’Odeonsplatz, ou les boutiques de haute
couture de Prinzregentenstraße. Geli était novice en matière de luxe et d’argent,
et avec une tyrannie charmeuse elle forçait son oncle à attendre, tel un mari
patient, pendant qu’elle essayait vingt chapeaux avant de se décider pour un
béret, ou aspergeait ses poignets de parfums français qu’elle fourrait ensuite
sous le nez délicat de son oncle qui n’en pouvait mais.
Avec sa nièce, Adolf Hitler se montrait
souvent affectueux, attendri et sans défense. Appuyé contre une aile de la
Mercedes, une cigarette à la main, Emil Maurice regardait son patron d’ordinaire
si redoutable suivre ces gamines gloussantes d’une boutique à l’autre, et, à la
fin de l’après-midi, il était fasciné de voir le Führer lui apporter une pile
de paquets, l’air contrarié mais souriant – paternel, rouge de plaisir, tout à
fait ravi.
Quant à Emil, il était ensorcelé par Geli ;
toutefois au début il s’efforça de donner l’impression qu’il ne faisait que son
devoir en accompagnant la jeune fille quand Hitler n’était pas là. Mais un
samedi matin de la fin octobre, Emil vint à la pension Klein dire à Geli que
son oncle était à Berlin pour les affaires du parti. Puis il lui demanda en
hésitant si elle aimerait aller au fameux marché aux puces Auer Dult de la
Mariahilfplatz, sur l’autre rive de l’Isar.
Comme elle voulait agrémenter un peu sa
chambre blanche, elle accepta ; ils trouvèrent un chapeau de chasseur
tyrolien pour lui, et pour elle une machine à coudre Köhler en assez bon état, un
tapis Axminster à peine usé, une pendule Tellus plaquée or qui ne fonctionnait
pas, mais qu’Emil, qui avait été horloger, se targua de pouvoir réparer, ce qu’il
fit.
Emil l’amena dans le quartier Haidhausen, dans
un pub appelé Löwen-Schänke, où ils partagèrent un déjeuner tardif de petits
pains et de salami, arrosé de grandes chopes de Spatenbräu. Il ôta son feutre
blanc et raconta à Geli qu’il était né en 1897, et était donc de onze ans son
aîné, qu’il avait été Unter-feldwebel, ou sergent, sur le front ouest, où
on lui avait donné la responsabilité d’une patrouille de reconnaissance, parce
que sa famille descendait de huguenots français et que son père avait forcé ses
enfants à apprendre la langue. Sans Abitur ni même Matura, Emil n’avait
que peu de perspectives d’emploi après l’armistice ; il n’était qu’un
individu parmi les millions qui avaient subi les dommages de la guerre, et il
avait donc fait des douzaines de métiers – marchand de chevaux, apprenti
boucher, horloger, videur de boîte de nuit. Tout ce qui lui tombait sous la
main. Et lorsqu’il se trouvait au chômage, il se battait dans les rues pour le
compte de l’Ehrhardt-Brigade, recevait de l’argent pour chahuter les orateurs
communistes et perturber les meetings pendant le soulèvement spartakiste.
« On ne savait pas ce qu’on voulait, mais on ne voulait pas de ce qu’on
connaissait », raconta-t-il. Et puis tout avait basculé en 1920 quand il
avait entendu un discours d’Hitler. Il avait immédiatement adhéré au parti, avec
la carte n 19, et on lui avait donné le poste d ’Ordnertruppe, chargé
de protéger son oncle dans les meetings de masse.
— J’ai été le premier SA. Le tout premier
membre des sections d’Assaut. Et je mourrais encore
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