La nièce de Hitler
vraiment
arrêter les compliments, Herr Maurice.
Emil garda le silence un moment.
— Ça l’ennuierait si on se fréquentait ?
Elle essaya de ne pas trop montrer son
exaltation et son émoi.
— Oncle Adolf ? Pourquoi ?
— Vous n’avez pas vu comment il vous
regarde ?
— Mais c’est mon oncle ! Et il a
dix-neuf ans de plus que moi.
Allez, demande ! pensa-t-elle.
— Voudriez-vous sortir avec moi ce soir ?
Elle hésita un instant.
— Si vous voulez, répondit-elle avec un
soupir.
Emil l’emmena au
cinéma voir un Kulturfilm financé par le gouvernement intitulé Les
Chemins de la santé et de la beauté, un long-métrage documentaire appelant
à la « régénération de la race humaine » par la gymnastique suédoise,
la danse, « la gymnastique hygiénique » et la lutte – sujet qui n’aurait
sans doute pas rempli la salle si les acteurs et actrices aux corps huilés n’apparaissaient
la plupart du temps complètement nus. Emil eut un sourire affecté devant la
réaction choquée de Geli, et celle-ci lui donna une tape sur l’épaule.
— Vous le saviez, hein ? demanda-t-elle,
mais Emil se contenta de sourire et de regarder, pressant son bras et son genou
contre ceux de la jeune fille.
— Ne le dites pas à oncle Adolf, lui
demanda-t-il ensuite, alors qu’ils se dirigeaient vers la Hofbräuhaus.
— Ne vous en faites pas.
— Est-ce qu’il a déjà mentionné la flamme
de la vie et le péché de dépravation ?
— Non.
Emil sourit.
— Il le fera.
À la brasserie, une serveuse en jupe froncée
tyrolienne leur apporta des chopes de porcelaine remplies de Hofbräu mousseuse,
et Emil parla à Geli du temps où ils couraient tous les filles à Berlin.
— Nous étions tous pauvres, mais Hitler
avait trouvé un financement pour le parti en Suisse ; ce n’étaient que
quelques centaines de francs, mais une fortune à l’époque avec le taux de
change, et nous avions emporté l’argent. Nous étions dans un cabaret et je
rameutais des filles pour venir à notre table – ça faisait partie de mon boulot
de chauffeur –, quand un type s’est approché, me disant qu’il était juge et qu’il
connaissait un endroit bien plus intéressant. Nous avons pris le métro ensemble,
et nous nous sommes retrouvés chez lui : beaux meubles, photos d’officiers
sur les murs, et sa femme qui nous servait du Champagne fait maison avec de l’alcool
et de la limonade. Tout d’un coup le juge nous amène ses deux filles, environ
quinze et seize ans, et Hitler manque de tomber dans les pommes parce qu’elles
sont toutes nues. Nues comme des vers, et elles se mettent à se tortiller
devant nous dans une espèce de danse égyptienne, et le juge attend qu’on lui
fasse une offre. Alors Hitler se lève d’un bond et se met à crier que c’est ça
qu’il veut changer, que c’est la preuve que l’Allemagne a été détruite par les
communistes et la république de Weimar, et ainsi de suite pendant vingt minutes,
un véritable condensé de son discours. Et avant longtemps toute la famille est
en pleurs et veut adhérer au parti, et quand nous partons le juge insiste pour
nous faire cadeau de ses havanes. Mais c’était Berlin en 1922 et les cigares n’étaient
que des feuilles de chou trempées dans la nicotine.
— Mais pourquoi donc me racontez-vous
tout ça ?
Emil rougit.
— Je ne le trahis pas, si c’est ce que
vous croyez.
Les cors d’une fanfare hurlaient si fort dans
la salle des fêtes de la brasserie qu’Emil dut se pencher en avant pour se
faire entendre.
— On allait voir des matches de boxe avec
des filles torse nu. Hitler était tout excité. Et c’est là que j’ai compris. Il
aime regarder, mais il ne touche pas. Les femmes, la sexualité, ça lui fait
peur, je pense, et c’est pour ça qu’il est réservé. On croit que c’est un prude,
un célibataire endurci. Chez ce juge, devant ces filles nues, je me suis d’abord
dit qu’il avait un esprit très élevé, une grande moralité, mais ensuite je me
suis rendu compte que ce n’était que de la pudibonderie.
— Et s’il n’avait pas été là, qu’est-ce
que vous auriez fait, vous ?
— Ah, ça, qui sait ? sourit Emil.
Elle lui lança un regard glacial.
— C’est pour ça que je pose la question.
— Est-ce que j’aurais regardé ? Oui.
Offert de l’argent pour en avoir plus ? Je ne crois pas.
— Vous faites toujours ce qu’il dit ?
— Oui,
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