La nièce de Hitler
érotique qui lui sembla si glamour que le fin
duvet de ses bras se redressa.
Il aspira une grande bouffée.
— Vous ne trouvez pas que j’ai été
absolument aimable et charmant, Fräulein Raubal ? demanda-t-il en rejetant
de minces volutes de fumée.
— Vous vouliez faire bonne impression ?
— Bien sûr. Vous êtes quand même la nièce
d’Hitler.
— Et à quoi avez-vous résisté ? demanda-t-elle
d’un ton charmeur.
— Vous seriez choquée si je vous le
disais.
Sur la scène, des danseuses portant des
diadèmes et des tuniques transparentes exécutaient à présent une danse
égyptienne sur une musique d’Erik Satie.
— Voudriez-vous venir chez moi ? demanda-t-il
d’une voix si veloutée et enjôleuse qu’elle en rougit. Je me contenterai d’imaginer,
je vous le promets.
— Est-ce que Herr Schaub se joindra à
nous ?
— Il le faut ?
— Il me fait tellement de peine, à nous
attendre comme ça dans la voiture.
Le Doktor Goebbels soupira.
Julius Schaub tomba
la veste dès qu’ils eurent pénétré dans l’appartement, et il trouva de la bière
Schultheiss dans la glacière tandis que le Doktor ouvrait une bouteille de
Champagne Taittinger. Schaub s’accroupit à côté d’une pile de gros disques RCA
Victor, à la recherche de Yats, ou jazz, et n’en trouvant pas, il régla
un poste américain Crosley sur une station qui passait Bix Beiderbecke et les
New Orléans Rhythm Kings. Puis, l’air morose, il s’assit par terre près du
haut-parleur comme s’il était seul au monde.
Comme Hitler, le Doktor Goebbels pensait que
la meilleure forme de distraction consistait à parler de lui. C’est ainsi que
Geli apprit qu’il était originaire de Rhénanie ; que dans son enfance on
le surnommait Ulex, diminutif d’Ulysse, le héros rusé de la guerre de Troie ;
que sa famille, qui faisait partie de la petite bourgeoisie – son père était
comptable dans une usine –, avait espéré ardemment qu’il devienne prêtre, et qu’il
s’en était éloigné à cause de son hostilité envers l’église catholique. À l’instar
d’Hitler et d’autres membres du parti, il s’était porté volontaire pour la
Grande Guerre, mais contrairement à eux il avait été rejeté à cause de son « infirmité »,
et en avait ressenti tellement de honte et de frustration qu’il avait essayé de
se suicider en faisant une grève de la faim, mais avait été sauvé par sa mère. Ensuite,
il avait caressé le rêve de devenir journaliste pour le Berliner Tageblatt, et
il avait envoyé au moins vingt articles au rédacteur en chef, un Juif. Et ils
avaient été refusés les uns après les autres. « Mais rira bien qui rira le
dernier. Je ne me laisserai plus humilier. » Il lui confia qu’il avait été
radical-socialiste dans le passé, mais qu’en entendant Hitler prendre la parole
il avait été contraint de réexaminer ses opinions politiques, et qu’aujourd’hui
sa conversion était complète.
En l’écoutant, elle devait faire des efforts
pour se sortir de la tête un petit refrain antinazi qui disait :
Mon Dieu, faites que je ne voie plus rien,
Pour que je trouve que Goebbels est aryen.
— C’est mon
oncle qui vous a recruté ? demanda-t-elle, histoire de penser à autre
chose.
— D’une certaine façon. Connaissez-vous
le poème de Goethe, Le Pêcheur ?
Elle dit que oui, mais c’était faux.
— « Elle le tira à moitié, il s’abandonna
à moitié », cita-t-il.
— Ah, ah, fit-elle simplement, tout en s’interrogeant
sur l’étrangeté du pronom féminin.
Julius Schaub avait entouré ses genoux de ses
bras comme un petit garçon, les yeux hermétiquement clos, concentré sur l’écoute
de Mamie Smith qui chantait Crazy Blues, même s’il n’en comprenait sans
doute pas un mot.
— Et quel est votre rôle dans le parti ?
demanda Geli.
Le Doktor Goebbels réfléchit longuement avant
de répondre.
— J’orchestre l’opinion. J’offre aux
masses le sauveur qu’elles désirent si ardemment, et j’offre à Hitler la
confirmation de sa vocation à la grandeur.
Il s’extirpa du sofa tant bien que mal, et
clopina à travers l’appartement de sa démarche chancelante, sa jambe gauche
faisant ni plus ni moins office de canne.
— Voulez-vous que je vous lise des
extraits de mon journal intime ?
Elle ne lui répondit pas et il ne semblait pas
attendre qu’elle le fasse, car il prit un carnet sur une étagère et rechercha
un
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