La nièce de Hitler
et
pourtant si profond, si mystique, si plein d’une vérité infinie. C’est comme
entendre les Évangiles. Une parole définitive, quel que soit le sujet qu’il ait
choisi. Je l’admire tellement que j’en ai des frissons. J’ai lutté toute la
soirée contre le besoin de tomber à genoux, sourit-il.
— Il est bon de savoir se contrôler, dit
Geli.
Le Doktor Goebbels leva son verre de chianti
et lança un regard suave à la jeune fille par-dessus le bord de son verre, d’une
façon qu’il trouvait sans doute irrésistible.
— Vous avez beaucoup de chance.
— Pourquoi donc ?
— Grâce à sa force élémentaire, vous
marchez en toute sécurité dans les abîmes de la vie. Avec lui, vous avez à vos
côtés l’instrument conquérant d’un destin divin.
— Oh, je le savais, je voulais juste vous
l’entendre dire.
— Très amusant, répondit-il en grimaçant
un sourire, avant d’avaler son chianti et de reposer son verre sur la table.
Le silence s’installa entre eux. Elle regarda
une larme rouge descendre avec une lenteur infinie le long du pied du verre et
en traverser la base pour aller tacher la nappe blanche. Elle s’aperçut qu’il
la dévisageait.
— Voudriez-vous me rendre visite à Berlin ?
demanda-t-il.
— Je suis déjà prise, répondit-elle.
— Ah, oui, fit-il dédaigneusement, le
chauffeur d’Hitler. Je dis cela sans aucun mépris, croyez-moi. Emil Maurice est
un ancien combattant. Il a participé au putsch.
— Nous nous aimons.
— Et il est là, dehors, dans la voiture, dit-il
en se renfrognant devant une telle honte. Il attend que nous ayons fini. En se
demandant ce que mijote ce diable de Herr Doktor Goebbels.
— Et que mijotez-vous ?
— Je vous invite en tout bien tout
honneur. Sans tour dans ma manche, comme disent les Américains. Vous ne voulez
pas venir avec votre oncle le week-end prochain ? Nous réglerons les
affaires du parti, et ensuite je vous montrerai la ville. Berlin est splendide.
Hitler revint s’asseoir.
Geli se pencha vers lui et toucha légèrement
sa manche.
— Oncle Alf, Herr Doktor Goebbels m’a
invitée à vous accompagner à Berlin le week-end prochain. Vous voulez bien ?
De sa main droite, Hitler retint la main
gauche de la jeune fille sur son bras.
— Notre Doktor trouve toujours le moyen
de me rendre heureux, dit-il.
Bien qu’Hitler se soit installé aux frais du
parti dans une suite au troisième étage du luxueux hôtel Kaiserhof de Berlin, juste
en face de la chancellerie du Reich, Geli et Angela – dont il avait exigé la
présence – furent reléguées au Gasthof Ascanischer, hôtel peu reluisant de
quatrième zone, afin de donner aux journalistes un bon exemple de la frugalité
du parti. Et comble de malheur, Hitler avait décidé par-dessus le marché que ce
serait Julius Schaub et non Emil Maurice qui les escorterait pendant leur
trajet en chemin de fer.
Cherchant à éviter la compagnie de Schaub, la
mère et la fille entreprirent seules le tour de la ville, en ce samedi glacial ;
mais elles firent l’erreur de commencer leur visite en partant de
Nollendorfplatz, et durent presser le pas devant les dancings, les bars louches
et un établissement d’un rouge flamboyant appelé Erotikzirkus. Malgré l’heure
matinale, des prostituées vêtues comme des ménagères allant aux commissions
discutaient de leurs enfants par groupes de trois.
— J’ai tellement de peine pour elles. Avec
toute cette misère, comment pourront-elles se marier ?
— Je ne pourrais jamais faire ça, dit
Geli.
Angela lui tapota doucement le poignet.
— Quel soulagement pour ta mère !
Elles finirent par arriver à l’église mémorial
de l’empereur Wilhelm, puis visitèrent le jardin zoologique pour faire plaisir
à Geli, et se rendirent à la porte de Brandebourg et au Reichstag en flânant
par le parc de Tiergarten ; elles prirent ensuite un taxi pour la
Wittenbergplatz, où le frère d’Angela, Aloïs junior, venait d’ouvrir un
restaurant.
Comme Angela ne l’avait pas prévenu de leur
visite, il fut suffoqué, en apportant les menus, de la trouver dans le
vestibule avec une nièce qu’il n’avait jamais vue. Aloïs était le fils
illégitime de Franziska Matzelsberger, la bonne d’Aloïs père, que ce dernier
avait épousée deux mois seulement avant la naissance d’Angela. Bien qu’ils n’aient
qu’un an d’écart, Aloïs semblait plus près de la soixantaine, et avec sa moustache
de
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