La nièce de Hitler
glorieuses bannières
rouges ornées de la majestueuse croix gammée – mais sans nez crochus, naturellement
–, la force contre la force, jusqu’à ce que les communistes déguerpissent en
abandonnant leurs blessés. Oh, comme il me tarde de voir la paix arriver ! ».
— Allons, allons, lui dit son mari.
— Et j’en serai malade de haine et de
ressentiment quand tous ceux qui nous ont snobés, qui nous ont évités pendant
nos mauvaises passes, s’avanceront furtivement pour t’assurer qu’ils ont
toujours cru en toi, Hermann chéri, et que tu aurais dû leur dire que tu avais
des difficultés.
— Certes, mais tout a changé à présent, non ?
dit Göring. Notre vengeance sera douce et longue.
Carin se pencha en avant.
— Mademoiselle ? Je n’ai pas entendu
votre nom.
— Geli.
— Joli nom, dit-elle comme si elle ne le
pensait pas, et elle se cala dans son siège. Nous avons trouvé dans le quartier
de Schöneberg une villa extraordinaire qui est dans nos moyens maintenant. Nous
avions dû mettre au clou un harmonium blanc et d’autres beaux meubles, mais j’ai
déjà donné mes instructions pour les récupérer. Seule une autre femme peut
comprendre ce que cela veut dire.
— Encore plus de ménage à faire ?
Emil lui lança un regard.
— Mais qui est-ce, Hermann ? demanda-t-elle
en se tournant vers son mari.
— La nièce d’Hitler.
— Ah, fit-elle, et elle tint sa langue
jusqu’à leur arrivée dans la salle de bal d’apparat de l’hôtel Kaiserhof.
Le Doktor Goebbels leva une coupe de Champagne
dans leur direction dès qu’il les aperçut.
— À la santé du député Göring et de ses
cinq cents marks par mois, ses voyages gratuits en chemin de fer, et son
immunité parlementaire ! s’écria-t-il.
— Ce n’est qu’un début, répondit Göring
sur le même ton, en souriant comme s’ils étaient amis.
Une centaine d’autres membres du parti, bien
plus solennels, étaient là, sur leur trente et un, la plupart des épouses
assises le long du mur, l’œil morne, tandis qu’un quatuor à cordes jouait d’un
ton bien trop plaintif à l’autre bout de la salle, et que leurs maris
conféraient d’un air funèbre au sujet d’un parti qui, malgré un apport d’argent
tardif de la part d’industriels du Nord, avait perdu cent mille voix depuis les
dernières élections.
— On s’amuse comme des fous ici ! s’exclama
Geli.
Emil se contentait de passer la salle en revue,
à la recherche d’Hitler.
— Tu ne t’ennuies pas déjà ? demanda-t-elle,
dans l’espoir de se retrouver dans la voiture avec Emil pour s’embrasser.
— On partira tôt, promit-il.
On annonça les princes Hohenzollern
August-Wilhelm et Eitel-Friedrich à l’entrée de la salle de bal, et ceux-ci
saluèrent les invités de la main avant de faire place à leur hôte. Arborant
queue-de-pie et cravate blanche, ainsi qu’une expression particulièrement
allègre, Hitler entra derrière eux d’un pas énergique et s’imprégna des cris et
des bravos qui arrivaient de toutes parts, avant de se laisser aller à son
habituel flot de paroles. Les invités firent cercle autour de lui. Après avoir
félicité les nouveaux élus, Hitler prédit que les journalistes les
surnommeraient les douze moutons noirs du Reichstag, mais qu’en réalité ils
seraient des loups, toujours prêts à chasser les ennemis de l’Allemagne pour
leur régler leur compte. Il admit que sans crise financière ou politique en
Allemagne le parti n’augmenterait pas le nombre de ses adhérents, mais que sous
la république de Weimar de telles crises étaient inévitables. Ils n’avaient qu’à
se montrer patients. Et malgré la tristesse qu’il avait ressentie tout comme
eux, à l’annonce des résultats, il avait remarqué que les voix qu’ils avaient
perdues n’étaient pas allées aux partis centristes, mais à ceux de l’extrême
gauche et de l’extrême droite. Ainsi, le peuple voulait des solutions extrêmes.
Il suffisait donc que le parti consacre ses efforts à inculquer à l’opinion
publique que le national-socialisme était le seul extrême qui n’échouerait pas
en dernier lieu, mais persévérerait et finirait par triompher de toute
opposition. Sur ce, sa voix montrant des signes d’épuisement, Hitler cessa de
parler, et, sous les cris de joie et les tonnerres d’applaudissements, il se
fondit dans la foule des membres du parti pour serrer des mains et écouter
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