La nièce de Hitler
malheureuses.
Göring lissa en arrière ses cheveux gominés et
rectifia sa tenue en se dirigeant à grands pas lourds vers la porte de son
bureau. Là, il se retourna pour lui lancer d’un ton sarcastique :
— Vous ne direz rien.
Et il sortit.
Il avait raison. Elle serait en faute d’une
certaine façon. Elle se leva et le suivit.
Le premier soir du
carnaval de 1929, Henny Hoffmann et elle allèrent avec Adolf Hitler voir une
opérette au Münchener Kammerspiele dans Maximilianstraße, où ses places
favorites étaient réservées au sixième rang d’orchestre. Hitler était très
élégant avec son chapeau Rousselet, son trench-coat de cuir couleur café et son
smoking, et Geli arborait le vison blanc immaculé d’Eisa Bruckmann et une robe
fourreau ornée de sequins d’argent – cadeau de son oncle – laquelle, lorsqu’ils
déposèrent leurs manteaux au vestiaire, révéla son dos parfait. Elle sentit les
regards des hommes sur elle, et cela lui plut. Elle n’était pas sûre que cela
plût à Hitler.
Les jeunes filles durent patienter de longues
minutes dans le hall du théâtre pendant qu’Hitler serrait la main de membres du
parti et de célébrités, puis, lorsqu’il les accompagna à leurs places, il s’arrêta
en leur disant qu’il avait oublié quelque chose, mais qu’il ne savait plus quoi.
Il pesta et s’énerva, cherchant ostensiblement dans toutes ses poches l’objet
manquant jusqu’à ce qu’il semble avoir une illumination.
— Ah ! J’ai trouvé ! Comme dit
Nietzsche : « Tu sors avec des femmes ? N’oublie pas ton fouet ! »
Geli poussa un grand soupir et Henny fit la
grimace, mais Hitler se trouva hilarant, et bientôt les autres spectateurs se
mirent à rire pour imiter le grand homme. Les félicitant tous pour leur bonne
humeur, il inclina le buste avec raideur et baisa la main d’une superbe
starlette blonde de la firme Universum Film A. G. qui se trouvait là avec
sa tante, et sembla titillée lorsque Hitler lui confia qu’il était ami avec
Herr Alfred Hugenberg, le prince du cinéma et de la presse. Et dès lors, chaque
fois qu’une scène lui paraissait vraiment comique, Hitler se retournait pour
voir si la starlette partageait sa gaieté. Et c’était le cas.
À l’entracte, Hitler alla chercher de l’eau
minérale Fachingen pour Henny et sa nièce, puis les laissa près du guichet pour
pouvoir s’engager dans une conversation passionnée avec la starlette dont elles
n’avaient pas, bien entendu, le nom. Mais elles entendirent son rire cristallin.
Elle toucha doucement le revers de soie du smoking d’Hitler, lui en faisant
compliment, selon toutes les apparences, puis sirota son Champagne d’un air
engageant, tandis qu’il semblait lancer la discussion sur les tenues de soirée.
— Elle porte des bas couleur chair !
dit Geli.
— Non ! s’exclama Henny, car les bas
transparents étaient encore assez rares, frivoles et recherchés. Si !
— Et du rouge à lèvres. Il a horreur de
ça.
— Arrête de les regarder !
— Alors, parle-moi d’autre chose, dit
Geli en leur tournant le dos.
— Tu prends toujours des leçons de chant ?
— Bien sûr.
— Et tu veux vraiment devenir chanteuse d’opéra ?
— Pourquoi pas ?
— Être toute seule sur scène devant des
milliers de gens, chanter chaque note par cœur à la perfection, faire semblant
de mourir ou d’être transie d’amour, tomber comme une masse, et quand le rideau
se baisse, devoir se relever en vitesse, ramasser des bouquets de roses et se
repaître des applaudissements…
— Et le côté déplaisant, ce serait quoi ?
— Je détesterais ça.
— Mais non, c’est extraordinaire. Être
une Walkyrie sur les rochers en flammes, ou Isolde et mourir d’amour pour
Tristan. Être Salomé et demander la tête de saint Jean-Baptiste pour l’embrasser
une dernière fois.
— C’est ce qu’elle vient de faire. Elle l’a
embrassé ! s’exclama Henny, les yeux écarquillés.
Geli lutta pour ne pas se retourner.
— Sur la bouche ?
— La joue. Elle est repartie s’asseoir.
Et c’est un Hitler tout pimpant et excité qui
les rejoignit pour les guider vers leurs places, ses mains frôlant leur dos nu.
— J’ai un changement de programme
inattendu, eut-il le culot de leur dire. Vous rentrerez en taxi.
Blessée, Geli rougit, mais se tut.
Et lorsqu’ils furent installés, Hitler se
pencha vers sa nièce.
— Il y a une chose que tu
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