La nièce de Hitler
dois savoir sur
les mâles de l’espèce humaine. Pour eux il y a deux types de femmes : celles
qu’ils admirent, par exemple celle qui sont connues pour leur richesse
fabuleuse, leur statut social ou leur talent ; et celles qui les attirent
irrésistiblement, des femmes qui sont moins importantes et peut-être même
inférieures socialement, mais avec lesquels ils sentent qu’ils peuvent être
pleinement eux-mêmes.
— Et moi, vous me placez où ?
Il se recula, tout de suite troublé.
— Toi, tu es dans une catégorie spéciale.
Après le spectacle, il n’attendit même pas
avec les jeunes filles dans le froid et la neige fondue de la longue file pour
les taxis, mais fourra cinq Reichsmarks dans la main de sa nièce et se
renfonça dans le siège avant de sa Mercedes. Il se pencha pour donner à Julius
Schaub une adresse qu’il avait griffonnée sur un papier, et fut majestueusement
emporté.
— Je vous ramène ? fit une voix d’homme.
Geli se retourna et vit Christof Fritsch avec
son béret noir et son manteau de lainage gris. Elle sourit.
Christof les emmena Adalbertstraße, à la
brasserie Max Emmanuel ; Geli offrit quatre tournées de Löwenbräu avec les
marks d’Hitler, et Christof la bouscula violemment en dansant une scottish, pour
finir par s’étaler de tout son long, complètement ivre.
— Tonnerre ! s’exclama-t-il.
Toujours allongé sur le dos, Christof s’enfonça
les poings dans les yeux comme s’il cherchait à les effacer. Puis il se rendit
compte de son état de faiblesse quand Geli et Henny le mirent debout sur ses
bottes cloutées et le ramenèrent dans leur box.
— Il faut vraiment qu’on rentre, Christof,
dit Geli.
— Encore une bière !
— Restez si vous voulez ! Buvez un
café. Mangez un gâteau. Nous prendrons un taxi.
— O. K., fit-il en anglais, comme elle le
lui avait appris d’après une chanson américaine, avant de leur faire au revoir
de la main et de dire en allemand : je vous aime !
Le chauffeur de taxi conduisit d’abord Henny
chez elle à Bogenhausen, bien à l’est du Jardin anglais, puis se dirigea à l’opposé
vers Schwabing, où il déposa Geli à la hauteur de Isartorplatz. Elle marchait
vers la résidence des Bruckmann dans sa fourrure blanche et sa robe étroite, les
pieds gelés dans ses petits escarpins, quand elle vit Hitler accompagné de la
starlette qui rentrait chez lui au numéro 41, au-dessus de la Drogerie.
Elle se dissimula dans une porte cochère
abritée du clair de lune jusqu’à ce qu’ils soient entrés dans l’immeuble, puis
se dépêcha de traverser pour se tenir sur le trottoir enneigé d’en face, où, recroquevillée
contre le vent, elle surveilla la fenêtre de son oncle et vit Hitler allumer
une lampe et enlever son chapeau et son trench-coat avant d’aider la starlette
à se défaire de sa fourrure. D’abord il voulut étaler le manteau de la jeune
femme sur le lit, mais il se ravisa et le déposa sur le dossier d’une chaise. Apparemment,
il lui proposa quelque chose à boire et obtint un hochement de tête et une
réponse amusante, car il rit de bon cœur en ôtant le bouchon d’une bouteille
entamée de cognac Winkelhausen Deutscher et en en versant deux doigts dans deux
verres à orangeade. Elle prit un des verres et Hitler retourna la chaise avec
la fourrure et s’assit à califourchon dessus. Mais la fourrure sembla le gêner,
aussi la posa-t-il sur la table pliante avant de se rasseoir.
Et maintenant, elle s’assied où ? pensa Geli.
La starlette vit qu’il ne restait que la table
pliante et le lit. Tout en dégustant son cognac, elle s’installa mollement et
le plus naturellement du monde sur le matelas incurvé, avec un regard amer à la
photo de Klara Hitler accrochée au-dessus de la tête de lit. Geli remarqua avec
jalousie ses belles jambes, qu’elle croisait haut, et ses cheveux blonds
ondulés comme ceux de Lilian Harvey, une actrice anglaise en vogue en Allemagne.
Droit et raide sur sa chaise, Hitler pérorait comme il en avait l’habitude, et
l’actrice de cinéma devait certainement essayer de comprendre pourquoi un homme
célèbre dans le monde entier vivait de façon si frugale. Hitler se leva, se
dirigea vers la fenêtre, et ferma les rideaux fleuris d’un geste brusque.
Je rentre ? se
demanda Geli. Ses pieds étaient des pierres et son visage dur tel un cuir raide.
Aussi retraversa-t-elle la rue en vitesse vers la maison des Bruckmann, mais
elle se
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