La nuit de l'ile d'Aix
ne sera jamais connue de personne.
M. de Bonnefous soupira, sortit de la pièce et revint avec un dossier cartonné.
— Voilà, sire, je sais que je peux compter sur la discrétion absolue de Votre Majesté.
— Vous avez ma parole, dit Napoléon, qui se saisit avidement du document.
Je vous préviens, Monsieur, que vingt-quatre heures au plus tard après l’arrivée de cette lettre, il arrivera sur la rade de l’île d’Aix UN MINISTRE DE FRANCE destiné pour les États-Unis d’Amérique, lequel doit s’embarquer sur la frégate la Saale avec une vingtaine de personnes de sa suite. Plusieurs autres personnes, dont il est accompagné, doivent s’embarquer sur la Méduse. Les deux frégates formeront une division sous les ordres du commandant Philibert et NE DEVRONT PARTIR QUE SUR LES NOUVEAUX ORDRES QUE JE VOUS DONNERAI. Veuillez tenir SECRET tout ce que je viens de vous dire au sujet du MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE, de son départ et de sa destination. Mais il faut préparer tout de suite les deux frégates pour qu’elles puissent mettre à la voile au premier ordre qui arrivera. Faites-les munir d’environ quatre mois de vivres qu’il sera bon de prendre sur les bâtiments qui sont en rade pour éviter tout retard ; vous compléterez de la même manière leurs équipages s’il en est besoin. Vous arrangerez les choses sous le prétexte que les frégates sont destinées à partir immédiatement pour une croisière. Enfin vous aurez à pourvoir sur-le-champ à l’achat de tous les comestibles qui doivent assurer sur chaque frégate une table honorable pour vingt-cinq passagers à peu près sur chacune d’elles, pendant une traversée des États-Unis.
Il faut que l’ambassadeur ait, à lui seul, sa table ; s’il le juge à propos, il faut lui donner un logement séparé et très commode. Assurez tout cela comme pour une personne de TRÈS HAUTE DISTINCTION ET QU’ON VEUT TRÈS BIEN TRAITER. Mais je mets sous votre responsabilité que tout doit se faire avec LE PLUS GRAND SECRET et sans qu’il apparaisse autre chose que des préparatifs d’une croisière des deux frégates. Pour cela il est bon de donner aux deux capitaines l’ordre de se tenir prêts à partir, et de consigner tout le monde à bord aussitôt. Le gouvernement vous saurait mauvais gré de tout ce qui pourrait transpirer à cet égard. Faites préparer cinquante hamacs au moins et leurs couchers. Ne ménagez rien pour que la table soit abondante et très honorable. Le logement d’honneur sera donné à l’ambassadeur de manière qu’il n’ait de communications pendant la traversée avec l’état-major et les passagers qui arriveront avec lui, qu’autant qu’il le jugera à propos. Terminez tout cela promptement. »
Napoléon reposa la lettre.
— Eh bien, monsieur de Bonnefous, tout cela me semble limpide. Il n’y a pas de mystère. Ces recommandations sont fort convenables. Quand cette lettre vous est-elle parvenue ?
— Il y a trois jours.
— Alors, il n’y a pas un instant à perdre. Je vais voir Beker, mais, rassurez-vous, rien jamais ne transpirera de notre entretien.
Il traversa la galerie circulaire, salua d’un geste la foule qui restait obstinément agglutinée devant la préfecture et rejoignit Beker dans le grand salon.
— Général, mon sentiment est que nous avons perdu du temps, beaucoup de temps. Et que le temps perdu profite à nos ennemis. Et le scrutant brusquement : — Général quoi qu’il arrive vous êtes incapable de me livrer n’est-ce pas ?
— Votre Majesté sait que je suis prêt à donner ma vie pour elle ; mais, dans cette circonstance, ma vie ne la sauverait pas. Le même peuple qui se presse tous les soirs sous vos fenêtres, et vous oblige à vous montrer, proférerait peut-être des cris d’un autre genre, si la scène venait à changer. Alors, sire, je vous le répète, votre liberté, déjà menacée, serait complètement compromise. Réfléchissez donc à l’urgence de la situation, je vous en supplie.
— Eh bien ! il faut donner l’ordre d’équiper les embarcations pour l’île d’Aix. Je serai là près des frégates, et je me trouverai en mesure d’embarquer si les vents veulent, tant soit peu, favoriser la sortie.
Journée du 4 JUILLET
« La fortune ne peut rien contre les grands hommes. Que son inconstance les élève ou les abaisse, elle ne change ni leurs desseins, ni leur fermeté d’âme si dépendants de leur
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