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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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monture, et fut hissé par les marins sur la chaloupe de la Saale. Alors un ancien capitaine au long cours de M. de Villedieu sortit de la foule, courut sur le sable humide et cria   :
    —  Sire, méfiez-vous de la trahison.
    Tandis que le bateau s’éloignait, les rayons du soleil couchant enflammaient l’antique forteresse, ses tourelles, ses bastions, ses ponts de pierre moussue et ses remparts de ciment rouge.
    —  Vous voyez ce donjon, dit l’Empereur. Je l’ai visité en août 1808 quand je suis venu organiser la défense de l’île. C’est Charlemagne qui l’a fait construire pour défendre l’accès de la Charente. C’est autour du château de Charlemagne que Vauban a édifié ses fortifications. Cette haute tour crénelée avec ses fenêtres à croisillons, c’est celle du sire de Maumont. Du haut de cette tour j’ai pu regarder le paysage de l’Aunis. Et l’océan. À six lieues à la ronde.
    Une magie d’Orient irradiait de ce château qui ressemblait aux forteresses franques du Liban et aux remparts du Caire. Napoléon pouvait se croire ramené au siège de Malte et aux portes de Néfémieh.
    La barque qui porte César et son infortune danse sur les vagues. Et quand on entend « plier la mer au soupir des rameurs   » monte encore et toujours le vieux cri de toutes les foules   : Vive l’Empereur   !
    —  Regardez ce fort... Il désignait du doigt les archères, les échauguettes et les murailles couleur du temps de Fort Boyard. C’est moi qui l’ai fait construire. Je voulais réussir là où Vauban avait échoué. Le seul enrochement de la longe du Boyard a nécessité cent mille mètres cubes de pierres, et ce chantier est devenu si important que la pierre a enfanté une cité, Boyardville, sur la côte en face. J’ai fait élever des remparts pour protéger ces chantiers. Pendant trois ans la mer a balayé les blocs de béton. J’ai fait édifier une digue. Je suis venu la visiter en 1808 et je suis descendu avec les ingénieurs sur l’enrochement. Les pierres ont été reliées par de gigantesques boulons. Les racines minerais de Fort Boyard sont profondément implantées dans la mer face au donjon de Charlemagne. Ces deux blocs vont témoigner pour des siècles de pierre de la même volonté monumentale des deux seuls empereurs d’Occident qu’ait connus le monde. Moi aussi j’ai créé des royaumes feudataires   ; des marches à nos frontières, et mes grands fiefs d’Empire. Et notre finalité était la même   : l’Europe. Seules nos capitales étaient différentes, Charlemagne avait choisi Aix-la-Chapelle et moi Paris.
    Une dizaine de barques portant les dignitaires, les serviteurs, les trésors et les bagages s’élançaient dans le sillage de la chaloupe. Une brusque houle gonflait la mer, une brise d’été se levait, légère, narquoise, soufflant de face et creusant les flots. Les rameurs ahanaient sur les avirons. Au-delà des dunes se dressaient les mâts du Bellerophon balancé par le ressac. Deux fois les canots lourdement chargés furent balayés par des gerbes d’écume. Le vent du ponant s’enflait avec la nuit. Les femmes morfondues prenaient peur et poussaient des hurlements de naufragées.
    —  C’est bon, dit l’Empereur, nous renonçons à l’île d’Aix pour ce soir. Nous coucherons à bord de la Saale.
    7 h 30 du soir
    On hissait l’Empereur sur le pont de la frégate. La Saale était parée pour la parade. Les gabiers envolés dans les vergues, les vigies en haut des mâts, les officiers en tenue de gala se tenaient alignés sur le pont, sabre au clair. La mer balançait doucement le navire quand Napoléon passa en revue l’équipage.
    —  Sire, si nous ne faisons pas tirer le canon, c’est pour éviter d’attirer l’attention des Anglais.
    —  Je vous remercie de votre accueil, dit Napoléon en feignant d’ignorer la déférence glacée du commandant Philibert. Conduisez-moi à mes appartements.
    —  Sire, je vous ai réservé la chambre du conseil.
    C’était une large cabine aux tentures sombres, aux hublots ovales, sobrement meublée, séparée en deux par une cloison de toile écrue. Napoléon jette un bref coup d’œil aux fleurs de lys des vitrages.
    —  Qui est-ce qui loge de l’autre côté   ?
    —  Le général Beker, dit Philibert.
    Napoléon fixa le capitaine pour bien lui faire comprendre qu’il n’était pas dupe du symbole   : il allait partager sa chambre avec son gardien.
    À trente

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