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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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a retenti dans l’Europe entière   : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes... »
    —  Compagnie   ! Halte   !
    Les bottes piétinaient dans le sable des allées du palais.
    —  L’arme au pied   !
    —  ... Et s’il le faut, les dernières gouttes de notre sang...
    Ces mots résonnaient dans le silence funèbre de l’Assemblée, formules vides de sens, promesses vides d’avenir, feuilles mortes déjà livrées au vent de l’Histoire. Mais par la fenêtre ouverte les huissiers pouvaient voir luire les baïonnettes des grenadiers de Poméranie.
    Pour la dernière fois, Lazare Carnot se dressait sur son banc, solennel et pathétique. Ceux qu’il voyait revenir avec les soldats prussiens, c’était ceux qu’il avait chassés voilà vingt ans avec ses phalanges de va-nu-pieds. Une dernière fois sa voix s’élève, forte et vibrante. Colère et désespoir.
    —  ... Nous refusons..., je m’élève avec force..., j’élève une protestation solennelle..., nous rejoindrons l’armée de la Loire... Le gouvernement provisoire se replie à Blois... Nous nous battrons...
    Son appel tombe lui aussi dans le vide. Qui donc parmi les députés rêve d’aller se battre à Blois   ? Carnot rencontre l’œil ironique de Fouché, devenu maître de l’heure et maître de son destin à lui, Carnot. Il lui fait passer un bref billet   : « Traître, où veux-tu que j’aille   ? » À quoi Fouché répondra par un billet tout aussi laconique   : « Imbécile, où tu voudras. »
    M. de Lanjuinais se levait et d’une voix étranglée jetait quelques mots promis eux aussi aux poubelles de l’oubli, avant de conclure   :
    —  Messieurs, la séance est levée.
    Les députés debout, pâles, résignés, regardaient de tous leurs yeux la grande porte où s’encadrait une section de Prussiens.
    —  Sire, dit Beker, voilà les journaux de Paris.
    —  Que disent-ils   ?
    Beker gardait le silence, tête baissée. Et ses doigts pianotaient le guéridon. Napoléon s’empara des feuilles et poussa un gémissement   :
    —  Ah ! les misérables...
    Il parcourut quelques lignes et brusquement froissa les journaux, les roula en boule et les jeta à terre.
    —  Paris, ce n’est pas possible... Mon Dieu, ils ont livré Paris sans combat. Fouché, Talleyrand, Davout. Ils ont troqué Paris contre leurs carrières de ministre... Et il y avait cent mille hommes sous Paris... Mais ce n’est pas possible que Grouchy, que Reille, que Vandamme aient accepté ça. Quel cauchemar Personne ne s’est battu. Qu’est devenu ce pays   ? Que va-t-il devenir   ?
    Planat restait debout sur le seuil de la porte, un doigt sur la bouche. Parce qu’il entendait lui aussi les imprécations de l’Empereur.
    —  Sire, il faut quand même vous dire qu’Exelmans a massacré deux régiments prussiens à Champigny. Oh, ce n’est que pour l’honneur   !
    —  Merci, Planat.
    —  Sire, il y a un vieux monsieur qui vient d’Amérique et qui attend.
    —  Je sais, il ne vient pas d’Amérique, il y va.
    —  Lui aussi   ! sourit Planat.
    M. Sys Wilder est un sexagénaire robuste et rougeoyant avec de fins cheveux de lin blanc qui retombent en mèches raides sur un front têtu. Il avait soigné sa toilette et tenait à la main un rouleau de papier. Il était arrivé à la préfecture dans l’après-midi du 7.
    L’Empereur demanda qu’il écrivît l’objet de sa visite et le reçut dans le petit salon au début de la soirée.
    —  Sire, je vous prie de bien vouloir excuser ma démarche, je suis un Américain qui vit en France depuis dix ans et j’ai été émerveillé par les bouleversements politiques et sociaux de votre règne. Tant que vous avez été à la tête de cette nation, vous pouviez accomplir n’importe quel miracle, mais aujourd’hui vous n’avez plus rien à attendre de l’Europe. Il faut partir aux États-Unis. Je connais les sentiments des chefs du gouvernement et du peuple américain. Vous trouverez là-bas une seconde patrie et toutes les sortes de consolations aux avanies qui vous sont faites.
    —  C’est bien mon sentiment, dit Napoléon, je vous remercie de l’exprimer de façon si chaleureuse.
    —  Sire, voilà ce que je voulais vous proposer. Je suis importateur d’épices. J’ai un bateau à Bordeaux. J’ai apporté le passeport de mon valet de chambre, le voilà. C’est un homme qui a à peu près

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