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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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insurmontables. Un des motifs de l’urgence de son départ se fonde sur l’intérêt de sa sécurité personnelle. »
    —  Eh bien, Bonnefous, ce n’est pas nouveau, c’est le refrain qui revient dans tous les couplets de Fouché et Decrès depuis quinze jours.
    —  Sire, dit Bonnefous, il y a une menace voilée au filigrane de ce message.
    —  Quelle menace   ?
    —  Je relis, dit Bonnefous   : « Qui peut répondre que ces dispositions prises dans l’intérêt de sa seule sécurité n’éprouveront pas sous peu des obstacles insurmontables. »
    —  Allez jusqu’au bout de votre pensée   ?
    —  Eh bien, sire, je crois savoir que Decrès va céder la place à Joncourt. Joncourt est un royaliste fanatique. Et c’est l’âme damnée des ultras. Lui n’hésitera pas à utiliser la force armée pour s’emparer de la personne de Votre Majesté.
    Napoléon est remonté sur le pont de la Saale , et il semble envoûté par la masse des vaisseaux britanniques. Il repose sa jumelle marine.
    —  Bertrand, je me demande si...
    Il laisse en suspens la phrase qu’une mouette reprend et emporte vers le nord.
    —  ...Je me demande si le moment n’est pas venu de sonder les intentions des Anglais.
    La pensée qu’il repoussait avec indignation trois jours plus tôt prend corps, émerge des brumes où il se débat.
    —  Bertrand, nous allons envoyer un navire parlementaire au Bellerophon.
    Bertrand maîtrise un haut-le-corps.
    —  Aux Anglais ? Mais vous avez dit...
    —  Je veux les tâter. J’ai un argument tout prêt pour entamer le dialogue   : leur demander si les sauf-conduits pour notre voyage en Amérique sont arrivés.
    Bertrand se résigne à écrire pour solliciter l’autorisation, car Philibert refuse d’avance toute navigation qui n’est pas précédée par une demande écrite.

 
    Journée du 10 JUILLET
    « Si Napoléon échappé aux mains de ses geôliers se retirait aux États-Unis, ses regards attachés sur l’océan suffiraient pour troubler les peuples de l’Ancien Monde ; sa seule présence sur le rivage américain de l’Atlantique forcerait l’Europe à camper sur le rivage opposé. »
    C HATEAUBRIAND
    L’aube laineuse s’essore de la mer violette. Un croissant de lune qui dormait entre deux eaux se dissout dans un ressac où une colonne de nuages effiloche ses cotons et ses moutons. À la lisère des vagues la côte avance, pousse vers le navire les mufles humides de ses promontoires. Napoléon regarde le jusant tordre les mèches de l’écume, écoute la grande clameur bestiale et divine, abois, orgues et sanglots de la marée montante. Respire l’odeur d’iode, de fucus et de bois pourri qui monte des eaux. Se penche par-dessus le bastingage et regarde se dissoudre dans les vagues une nappe blanchâtre où clapotent les semences des abysses, spermes flottants, lunules huileuses et pollens lactés. Un bruit de bottes l’arrache à sa rêverie.
    —  Monsieur le grand maréchal, vous avez rédigé le message pour Maitland ?
    —  Voilà, sire.
    Napoléon relit la lettre, Bertrand la paraphe.
    —  Eh bien, allez me chercher Savary et Las Cases.
    Et il s’affaire à contempler, balancé comme un bouleau par le reflux, le fut du grand mât de la Méduse où s’accrochent des oiseaux ventoliers, perchés, roulés en boule comme des grappes de gui sous les huniers.
    —  J’ai décidé de vous envoyer à bord du Bellerophon , ne faites pas cette tête-là, Savary, vous reviendrez dans deux heures. Officiellement vous partez sur un bateau parlementaire demander si les sauf-conduits sont arrivés. En fait c’est pour prendre langue avec eux et essayer de percer leurs véritables intentions. À mon avis, Maitland ne vous recevra pas seul, il sera accompagné de quelques officiers. Las Cases, vous parlez parfaitement l’anglais, n’est-ce pas ? Vous feindrez de ne pas comprendre leur langue, et vous noterez au vol les réflexions et les commentaires qu’ils se feront entre eux, sûrs de n’être pas entendus. Bertrand, donnez-leur la lettre. Soyez courtois et fermes. Dites-leur bien que, au cas où les passeports seraient refusés, j’envisage de reprendre la tête de l’armée de la Loire.
    Le ciel gris blême, couleur de pierre gélive, les lueurs cendreuses de l’aube, l’haleine vagabonde du vent qui s’éveille au ras des flots, les bulles du ressac comme les soupirs de la mer... La mouche numéro 24 débouche lentement de la Saale. Et

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