La nuit de l'ile d'Aix
hisse un drapeau blanc. Du haut du bastingage Napoléon regarde partir l’aviso de la dernière chance. Demain peut-être, c’est lui qui montera à bord, au large de Chassiron.
Las Cases et Savary debout à l’avant regardent grandir les mâts et les vergues du Bellerophon. Deux cents marins grouillent sur le pont. L’officier de quart du Bellerophon avertit Maitland qu’une petite goélette se détache de la frégate. Le capitaine ordonne aussitôt que son navire soit prêt à faire voile en chasse. Et il découvre le pavillon blanc de l’aviso presque en même temps que la corvette le Falmouth qui lance ses signaux. Maitland ajuste sa jumelle et se tourne vers son second :
— Je vous l’avais bien dit, les voilà.
— Comte de Las Cases.
— Général Savary.
— Général, monsieur le comte, je vous souhaite la bienvenue à bord du Bellerophon.
Maitland s’exprime dans un français lent et guttural, mais son sourire adoucit son accent.
— Commandant, je suis chargé par Sa Majesté l’Empereur Napoléon de vous remettre un message du grand maréchal Bertrand.
Maitland ouvre la lettre et lit :
« Monsieur l’Amiral
L’Empereur Napoléon ayant abdiqué le pouvoir, et choisi les États-Unis pour s’y réfugier, s’est embarqué sur les deux frégates qui sont dans cette rade pour se rendre à destination. Il attend le sauf-conduit du gouvernement anglais, qu’on lui a annoncé, et qui me porte à expédier le présent parlementaire, pour vous demander, Monsieur l’Amiral, si vous avez connaissance dudit sauf-conduit ; ou si vous pensez qu’il soit dans l’intention du gouvernement anglais de mettre de l’empêchement à notre voyage aux États-Unis. Je vous serais extrêmement obligé de me donner là-dessus les renseignements que vous pouvez avoir.
Je charge les porteurs de la présente lettre de vous faire agréer mes remerciements et mes excuses, pour la peine qu’elle a pu vous donner.
J’ai l’honneur d’être, etc. »
— Eh bien, dit Maitland avec un sourire enjôleur, cette lettre va être transmise ce soir, acheminée par chaloupe à l’amiral.
— Nous aimerions rapporter une réponse, dit Las Cases.
— J’ignorais tout à fait les détails dont vous me donnez connaissance ; je ne savais que le résultat de la bataille de Waterloo. Je ne puis, par conséquent, répondre à la demande qui fait l’objet de votre message ; mais, dans quelques instants, j’en saurai peut-être plus long, car je vois une corvette qui manœuvre pour m’aborder. Elle me fait signe qu’elle vient d’Angleterre et qu’elle a des lettres pour moi. Je vais manœuvrer de mon côté pour faciliter les approches ; pendant ce temps, nous allons déjeuner. »
Bertrand s’incline.
— Je vous remercie de votre obligeance...
— Un instant, je donne mes ordres pour le Falmouth.
Et Maitland se tournant vers Mott lui lance en anglais :
— C’est bien ce que je pensais, le fruit est mûr, nous pouvons le cueillir demain.
Las Cases n’a pas cillé.
— Si vous voulez attendre quelques instants, dit Maitland, mon second va vous faire les honneurs du navire.
Andrew Mott incline sa face camuse et frisée de mérinos des Shetland et promène ses voyageurs sur le pont, en entonnant un hymne au cher vieux Bellerophon couvert de gloire et de cicatrices, un des meilleurs vaisseaux de la Home Fleet.
Savary et Las Cases qui sentent peser sur eux des centaines de regards curieux observent la marche de la corvette Falmouth qui avance par tribord et détache un canot.
— Eh bien, nous pouvons déjeuner. Mon ami Knight qui commande la corvette déjeunera avec nous.
Dans le carré du Bellerophon, les places d’honneur sont réservées aux Français. Maitland emplit les verres de whisky et porte un toast « à la paix ».
Las Cases enchaîne :
— À la paix et à la liberté...
Voilà Knight — géant chauve, glabre, stria et compassé — qui entre et montre une surprise de commande en découvrant Las Cases et Savary. Maitland fait les présentations en français.
— J’ai une lettre pour vous de l’amiral Hotham, dit Knight.
— Vous permettez ? dit Maitland.
« Baie de Quiberon, 8 juillet.
Il vous est enjoint de faire les plus strictes recherches sur tout bâtiment que vous rencontrerez ; si vous êtes assez heureux pour intercepter Bonaparte, vous devez le transporter avec sa famille sur le vaisseau que vous
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