La nuit de l'ile d'Aix
commandez, l’y tenir sous bonne et sûre garde, et revenir avec toute la diligence possible au port d’Angleterre le plus voisin. À votre arrivée, vous interdirez toute communication avec la terre. »
— Vous savez ce qui vous reste à faire, dit Knight. Il faut le prendre vivant.
Maitland se tourne vers les deux Français :
— L’amiral me confirme qu’il m’autorise à engager des pourparlers.
Las Cases n’a toujours pas cillé.
— Si vous me permettez une question ?
— Je vous écoute.
— Si l’Empereur sortait sur les frégates avec un bateau parlementaire ou qu’il choisisse de naviguer sur un neutre, quelle serait votre attitude ?
Maitland pose son verre.
— Je vous l’ai dit : j’ai des ordres très stricts de l’Amirauté, le bateau parlementaire serait attaqué et les bateaux neutres envoyés dans un port anglais.
Et devant le regard flambant de Savary :
— L’attitude des Lords de l’Amirauté n’a rien de surprenant. Au cas où nous laisserions le général Bonaparte s’embarquer pour l’Amérique, qui garantirait les puissances alliées d’un retour en force comme celui de l’île d’Elbe ? Un retour qui imposerait à l’Angleterre et à l’Europe un gaspillage de sang et d’argent identique à celui qu’elles ont déjà subi ?
— La parole de l’Empereur, dit Las Cases. Aujourd’hui, il a volontairement abdiqué. Il a renoncé au pouvoir de lui-même.
— Mais il lui reste encore quelques moyens de se faire respecter, dit Savary.
— Où pourrait-il être plus respecté qu’en Angleterre ? Ainsi Lucien Bonaparte s’est réfugié chez nous en 1810. Dans un premier temps il a été interné. Et puis très vite libéré. Il a pu acheter la somptueuse maison de Thogorne. Le prince Lucien avait un train de vie princier. Il avait ses équipages, ses valets de pied, des revenus confortables, il recevait à sa table les grands seigneurs d’Angleterre et il était reçu par eux.
— Avez-vous pensé, capitaine, que la Saale et la Méduse sont les meilleures frégates de notre flotte ? Ce sont de jeunes navires, ils ont vingt ans de moins que le Bellerophon. Ils n’ont jamais été meurtris et démâtés comme votre bateau à Aboukir. Ils ont quarante canons, portant du 24 en batterie et autant de canons de 36 sur la passerelle.
— J’ai le Slaney et le Falmouth.
— Bien sûr, mais nous disposons aussi de la Bayadère et des dix canons de l ’Épervier de Jourdan.
— Si on s’en réfère aux vingt dernières années, d’une façon générale, grogna Maitland, les affrontements n’ont guère été favorables aux Français.
— Oublions les affrontements. Et considérons surtout la course. La Méduse peut filer ses dix nœuds. Le Bellerophon s’essouffle à sept...
Maitland sourit :
— Messieurs, l’entretien s’égare vers des hypothèses de combat. N’étiez-vous pas venus pour une autre démarche ?
— Bien sûr, dit Las Cases, l’Empereur envisage de se retirer dans quelque retraite obscure où il finirait ses jours en vivant de ses glorieux souvenirs.
— Alors, dit Maitland après un bref coup d’œil à Knight, pourquoi ne se décide-t-il pas pour l’Angleterre ?
Savary fait la moue :
— L’Empereur est un Méditerranéen, il aime le soleil et les climats secs. L’Angleterre est réputée pour son climat froid et humide.
— Ne croyez pas cela, repartit vivement Maitland. Certaines de nos provinces anglaises n’ont rien à envier à la douceur de l’Ile-de-France ou de la Touraine.
— Par exemple ?
— Le comté de Kent.
— Admettons, dit Las Cases, mais vous faites bon marché des ressentiments que le peuple anglais nourrit contre Napoléon. J’ai lu dans vos journaux que vous le considériez comme un « monstre dépourvu de toute humanité ».
— Eh bien, messieurs, le seul moyen pour Napoléon d’éteindre les ressentiments du peuple anglais, c’est de venir en Angleterre. Il pourrait vivre au milieu de la nation sous la protection de ses lois et il rendrait impuissants les efforts de ses ennemis. Je vous donne ma parole d’officier que l’Empereur Napoléon, s’il vient à Londres, sera à l’abri des mauvais traitements.
Knight dit à mi-voix :
— Surtout dans la prison qui l’attend.
— Pardon ? dit Savary.
— Mon ami Knight parlait du choix d’une résidence...
Las Cases feignait toujours de ne
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