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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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rêve. Et le vent se levait dans sa mémoire. Un vent tiède et mélodieux dont l’adagio caressait les plaines de Lombardie, le vent vorace et mouillé du Danube sur Lobau, le vent de sable chaud qui soulevait des siècles de poussière au pied des Pyramides, le vent de Wilna, porteur de givre et de loups   ; tous ces vents, leurs souffles de bêtes et leurs ailes sonores hurlaient dans son souvenir... Et dans les voix du vent les fifres et les morts...
    —  Qu’est-ce que vous dites, Bertrand   ?
    —  Au Mont-Saint-Jean le vent avait soufflé vers l’est...
    —  C’est tout ce que nous lui demandons aujourd’hui, qu’il souffle vers l’est...
    Napoléon se tut longtemps. Il observa un moment les bras de faucheux du sémaphore dressés dans le soleil. Il braqua la lunette sur les vagues, découvrit sur la mer squameuse un poisson géant, dauphin ou barracuda qui jaillissait dans un ressac d’écume. Il baissa les jumelles et hocha la tête.
    —  À quoi pensez-vous, sire   ? se risqua Bertrand.
    Robert Fulton était devant lui avec l’ingénieur de la marine. Et Barlow qui finançait l’opération.
    —  Voilà, monsieur le Premier Consul, le rapport des experts   : à Brest le Nautilus est descendu sous les eaux à une profondeur de vingt-cinq pieds {75} .
    Bonaparte avait réprimé son étonnement.
    —  Mais comment l’actionnez-vous   ?
    —  Par trois mécaniciens dont l’oxygène est assuré par trois réserves d’air comprimé.
    —  Comment le dirigez-vous   ?
    —  Par une boussole. Et un baromètre permet de mesurer la plongée.
    —  Combien de temps avez-vous tenu sous l’eau   ?
    —  Quatre heures, monsieur le Premier Consul.
    Et l’ingénieur déposait sur la table le rapport des experts avec ce commentaire extravagant   :L’HOMME PEUT DÉSORMAIS NAVIGUER SOUS LES EAUX.
    Le lendemain il avait convoqué son ministre de la Marine et des Colonies.
    —  Voilà M. Fulton, qui peut naviguer quatre heures sous les eaux. Nous allons examiner avec lui les possibilités d’industrialisation de sa machine sous-marine et son utilisation contre les navires de surface...
    Fulton était revenu huit jours plus tard, amer et sarcastique.
    —  Votre ministre est un orfèvre du marchandage, monsieur le Premier Consul. Il me ravale au rang de courtier pirate. J’aurai quarante mille francs si je coule une frégate de trente canons, cinquante mille pour un sloop...
    —  J’y ajouterai une prime personnelle, avait dit Bonaparte, et je vous nommerai amiral de notre flotte sous-marine dès que nous pourrons construire en série...
    Et Fulton avait erré tout l’été sur les côtes de la Manche, Ulysse motorisé à l’affût des Phéniciens. Tantôt en plongée, tantôt entre deux eaux. Mais les Anglais que les espions avaient avertis de la présence du sous-marin se tenaient sur leurs gardes. Soit malchance du Nautilus, soit méfiance de la « clientèle   », Fulton n’avait pas réussi à couler un seul bateau anglais. Le marché s’était annulé de lui-même. Et Fulton ulcéré avait eu le réflexe de tous les inventeurs bafoués   : il était passé à l’ennemi et avait proposé ses services à l’Angleterre. Sans succès. En 1810, il était rentré aux États-Unis.
    Napoléon reprenait les jumelles et cherchait dans le tain de la bonace le sillage du dauphin. Il se tourna vers Philibert   :
    —  Pendant dix ans j’ai fait saisir les navires américains sur toutes les mers du monde et j’ai laissé s’échapper le seul bateau qui pouvait forcer le blocus — et le destin. Si le Nautilus était là, nous aurions déjà coulé le Bellerophon et nous serions sur la côte espagnole... Et les Anglais auraient perdu notre trace...
    —  Il se moquait bien du vent, le Nautilus..., dit Philibert.
    —  Aujourd’hui c’est le vent qui se moque de nous, dit Napoléon. Et ça peut durer longtemps ?
    —  C’est imprévisible, sire, deux jours, trois jours...
    —  Mais la tempête peut se lever cette nuit, dit Bertrand.
    —  Oui, bien sûr, mais c’est peu probable.
    Sur le pont de la Méduse Mme de Montholon livre ses cheveux au vent. Elle rêve de Highlands, de gazon anglais, de cricket et de chasse au renard. Elle tressaille, arrachée à son rêve, le capitaine Ponée est venu s’accouder auprès d’elle.
    —  Ah   ! madame, je ne garderai pas longtemps le commandement de la Méduse. Je sais que je serai destitué. Au profit de mon second, M. de

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