La nuit de l'ile d'Aix
négociations avec les puissances étrangères afin de connaître leurs véritables intentions pour mettre un terme à la guerre si cela est compatible avec l’honneur de la nation. » La Chambre écoute dans un silence impatient quand tombe une petite phrase qui prend son vol au-dessus des travées et qui sonne comme une menace à peine voilée : « J’envoie comme commissaire à la Chambre le prince Lucien Bonaparte. »
Fouché poursuit la tactique de harcèlement et de grignotage, de bouche à oreille et de porte-à-porte. « Dans peu d’heures si l’on n’y pourvoit, il n’y aura plus de Chambres, et l’on sera bien coupable de laisser échapper le seul instant de s’y opposer. Voulez-vous connaître un second 18 brumaire ? Aux armes... » Alors les députés, saisis d’un danger fabriqué par le seul Fouché, décident de siéger en permanence, et cette masse qui le matin même était encore une immense pâte à modeler, sort de son apathie et affirme sa volonté d’imposer l’abdication.
La Fayette dresse sa tête chenue parmi les rebelles : le voilà promu porte-drapeau de l’insurrection. Napoléon s’exprime en termes très durs sur M. de La Fayette.
« Un homme sans talents, ni civils ni militaires, esprit borné, caractère dissimulé. Cette tête creuse..., cette baudruche..., ce renégat..., ce régicide... C’est un Bourmont sans armée. Il a trahi Louis XVI quand celui-ci l’honorait de sa confiance. Il a fait voter sa mort. Il a déserté en 92. Et c’est moi qui suis allé le tirer, ce déserteur, des prisons autrichiennes d’Olmütz où il croupissait. À son retour d’Amérique, son seul titre de gloire est d’avoir lu à la tribune de l’Assemblée la Déclaration des Droits de l’Homme, recopiée mot à mot sur celle de la Virginie. En Amérique il voulait se faire passer pour Jeanne d’Arc. En France il s’est employé à voler la gloire de Rochambeau. Le coucou paré des plumes de l’albatros... Et puis, il a essayé de me renverser. Il a oublié qu’il est venu cirer mes bottes et me féliciter le soir du 18 brumaire. Aujourd’hui il confond la Chambre et le Jeu de paume. »
La Fayette dresse à la tribune sa perruque blanche, sa silhouette étriquée de vieux muscadin, ses frisures et ses rubans d’ancien berger des pastorales de Trianon. Il brandit sa houlette et bêle :
— Lorsque, pour la première fois, depuis bien des années, j’élève une voix que les vieux amis de la liberté reconnaîtront encore, je me sens appelé à vous parler des dangers de la patrie, que vous seuls à présent avez le pouvoir de sauver.
« Des bruits sinistres s’étaient répandus ; ils sont malheureusement confirmés. Voici l’instant de nous rallier autour du vieil étendard tricolore, celui de 89, celui de la liberté, de l’égalité et de l’ordre public ; c’est celui-là seul que nous avons à défendre contre les prétentions étrangères et contre les tentatives intérieures. Permettez, messieurs, à un vétéran de cette cause sacrée, qui fut toujours étranger à l’esprit de faction, de vous soumettre quelques résolutions préalables dont vous apprécierez, j’espère, la nécessité. La Chambre des représentants déclare que l’indépendance de la Nation est menacée.
Applaudissements sur divers bancs : « Vive la Nation ! » La Fayette brusquement rajeuni retrouve les mots et les cadences de 92 pour exalter « l’armée de ligne et la Garde nationale ». Il s’agit de dresser face à la Garde impériale la légion des prétoriens de la République. Vite une milice et des armées ! Il importe de « porter au plus grand complet cette Garde citoyenne dont le patriotisme et le zèle éprouvés depuis vingt-six ans offre une garantie de liberté, prend part à la tranquillité de la capitale et à l’inviolabilité des représentants de la Nation ».
Regnault de Saint-Jean-d’Angély entre au moment où cette dernière phrase retentit comme un défi. La Garde nationale est devenue, face à Napoléon, garante de l’inviolabilité des députés. Dans cette fièvre et ce tumulte on n’a oublié que la légalité, « la Constitution interdit à la Chambre des représentants de se proclamer en permanence ». Regnault insiste pour lire son communiqué mais les représentants lui demandent insolemment de leur épargner la lecture du bulletin de Napoléon sur le Mont-Saint-Jean. Parti messager de Napoléon,
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