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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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facile à conduire parce qu’elle est sans lumière.
    —  Vous m’étonnez, monsieur Benjamin Constant   ! Vous pensez que l’amour de la patrie n’est pas un soleil intérieur...
    —  Ce soleil est aujourd’hui voilé...
    —  Ainsi vous constatez comme moi une inadaptation croissante entre le monde qu’on avait rêvé et le monde où l’on vit ?
    —  Oui, sire, mais votre épopée a permis justement de creuser profondément l’abîme entre l’idéal et le réel, entre l’Ancien Régime et le nouveau. Aujourd’hui les représentants de la Nation ne cachent plus leur hostilité.
    —  J’ai fait des courtisans, je n’ai jamais prétendu me faire des amis. Mais je peux encore décimer les factieux, j’ai l’habitude...
    —  Ainsi vous risqueriez...
    —  Non. Vous connaissez le mot célèbre   : on cherche des orages pour oublier des dégoûts. Aujourd’hui je préfère ressasser mes dégoûts que déclencher des orages.
    —  Sire, ce qui est en cause, c’est la liberté de l’Assemblée.
    —  Ce n’est pas la liberté qui veut me déposer, c’est Waterloo, c’est la peur, une peur dont vos ennemis profiteront. Mais savezvous, monsieur Benjamin Constant, que le peuple de Paris...
    Et comme si elle avait entendu son appel à l’instant où les deux hommes débouchaient devant la grille, la foule massée autour du jardin éclatait en vivats et en hourras   :
    —  Vive l’Empereur !... Mort aux Bourbons !... Mon aux traîtres...
    Un élan frénétique jetait quelques centaines d’artisans et d’ouvriers à l’escalade des murs, des jardins et des arbres. Animés par le même amour fanatique qu’aux jours de gloire si proches et si lointains, « ces mêmes signes d’adoration renaissant de la défaite comme des parades triomphantes de naguère, cette irruption d’un passé si glorieux au cœur de ce débat sur l’abdication {21}   » troublaient si fort Benjamin Constant qu’il demeura sans réplique devant ce déchaînement. Napoléon arrêta ses regards sur cette multitude passionnée   :
    «  — Vous le voyez, ce ne sont là que ceux que j’ai comblés d’honneurs et d’argent. Que me doivent-ils ceux-ci ? Rien, mais l’instinct de la nécessité les éclaire, la voix du pays parle par leur bouche. En renonçant à mobiliser cette foule, que me reste-t-il comme perspectives   ? Le choix entre trois impasses   : l’exil, la capitulation et la mort. J’ai tout à redouter pour ma liberté et pour ma vie. Combien d’hommes illustres, pour conserver l’une et l’autre, ont trahi l’amitié et leur patrie   ! Moi je ne suis pas de la race qui se fait bourreau pour n’être pas victime. »
    —  Vive l’Empereur !... Mort aux traîtres !...
    Benjamin Constant blêmit sous son fard.
    —  Vous le voyez, monsieur, dit Napoléon, si je le permets, dans une heure la Chambre rebelle aura cessé d’exister... Mais la vie d’un homme ne vaut pas ce prix. Je ne suis pas revenu de l’île d’Elbe pour que Paris soit inondé de sang.
    —  Sire, en supposant même que par un coup de main hardi vous puissiez reconquérir le pouvoir, vous ne le garderez pas quatre jours.
    —  Vous croyez qu’on peut réduire au silence en quatre jours la voix tonnante que vous entendez ?
    Savary venait vers eux le visage sombre. Et sans préambule   :
    —  Sire, la Chambre ne parle que d’abdication...
    La reine Hortense n’a pas dormi. Le général Sebastiani lui a confirmé la veille au soir l’anéantissement de l’armée, la fin de la Garde et le retour solitaire de l’Empereur.
    C’est Flahaut qui la reçoit.
    —  Madame, l’Empereur est en conférence. Il est enfermé avec le roi Jérôme et le roi Joseph. Il a interdit qu’on le dérange. Vous savez les nouvelles ?
    —  Hélas oui, dit Hortense, mais je veux attendre.
    Le grand maréchal Bertrand passait avec sa femme. Elle courut à eux.
    —  Alors tout est perdu   ?
    —  Mais non, madame, ce n’est qu’un revers de fortune.
    —  Comment réagit l’Empereur   ?
    —  Il a envoyé ses aides de camp pour regrouper l’armée. Il se remettra à sa tête dès que les circonstances le permettront.
    —  Comment est-il   ?
    —  Il est très fatigué. Il souffre terriblement de cette inflammation de la vessie qui l’a torturé au Mont-Saint-Jean. Je dois dire que cette douleur insoutenable a été la cause profonde de la défaite. Il n’a pas pu chevaucher aux points du combat où

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