La nuit de l'ile d'Aix
tonner la voix du maître où refleurit le langage de l’épopée.
— Je déclare Paris en état de siège... Je lève une armée... Je replie le gouvernement à Tours... Je nomme Davout gouverneur de Paris... Nous nous battrons devant Paris. Nous repousserons l’envahisseur... Les places fortes de l’Est et du Nord sont bien pourvues, bien commandées. J’envoie des courriers à Brune, à Toulon, à Lecourbe pour qu’ils convergent vers Lyon... Lyon sera bien défendue, comme Paris. Savez-vous combien nous avons de réserves dans les dépôts ?
— …
— Si je dis deux cent mille hommes, je suis très en dessous de la vérité. Les conscrits, les retraités, les gardes nationaux, l’armée de Belgique et l’armée Rapp font au bas mot cent mille hommes ; la conscription de 1815 fera cent cinquante mille conscrits. Je vais aller prendre le commandement de l’armée de Laon. Les Alliés sont épuisés par les campagnes de Belgique loin de leurs bases, encore étonnés de leur victoire d’un jour. Je les écraserai.
Au cœur de la période, alors que la partie semble gagnée, une porte s’ouvre : l’envoyé de la Chambre des représentants brandit un papier et l’Empereur interrompt sa harangue. Le messager lit d’une voix lente et martelée : « La Chambre se déclare en permanence. Toute tentative pour la dissoudre est un crime de haute trahison... Qui se rendrait coupable de cette tentative sera traître à la patrie... et déclaré hors la loi. »
Les visages ouverts et dociles l’instant d’avant se referment et s’éteignent. Un seul sourire : Fouché. Il sait que son action porte déjà ses fruits.
Et tandis que Joseph clôt la séance, les groupes se forment à l’écart et les mots de passe du destin parviennent à l’Empereur à travers les palabres et les messes basses.
Régence..., abdication...
Brusquement surgissent des mots oubliés, des mots guillotine tombés depuis vingt ans en déshérence : Hors la loi... Déchéance...
11 heures
Emmanuel de Las Cases se présente à l’Élysée. Il fait antichambre avec Montalembert et Montholon.
— Sire, je viens me mettre au service de votre personne.
— Je ne vous ai pas vu souvent, Las Cases ?
— Et moi, sire, je vous ai toujours suivi depuis mon retour d’émigration.
— Vous êtes officier de ma maison, membre du Conseil, et je vous connais à peine. Vous semblez toujours en retrait.
— Si je change de comportement aujourd’hui, c’est que je pense que je ne suis plus séparé de Votre Majesté par les courtisans.
Napoléon hochait la tête.
— Vous n’avez jamais rien sollicité.
— Aujourd’hui je sollicite une grande faveur.
— Laquelle ?
— Celle de vous suivre là où le destin doit vous emmener.
L’Empereur le regardait attentivement :
— Mais savez-vous où un jour votre offre peut vous conduire ?
— Je n’ai pas souci de ce jour-là, sire. Au bout du monde peut-être ? Mais je serai comblé d’y partager votre destin.
Napoléon dissimulait mal son étonnement.
— C’est bien, Las Cases, merci. Vous confirmez ce que je savais : c’est dans le malheur qu’on peut mesurer le métal des hommes.
Grouillements, palabres et chuchotements dans l’antichambre de l’Élysée : notables, grands bourgeois, dignitaires, femmes de la haute société. Tout un monde inquiet, avide, balançant entre l’espoir du miracle et l’affût de la curée.
Déjà Paris voit errer des héros dépenaillés, les revenants de l’enfer, fardés de sang et de fumée, affublés de loques et de charpies, qui traînent aux abords des Chambres et à l’ombre des antichambres leurs silhouettes tragiques de rescapés avec leurs dolmans effilochés et leurs bandeaux ensanglantés. On dirait que ces fantômes erratiques ont été envoyés par Wellington pour étayer les manœuvres du duc d’Otrante. On colporte à voix basse dans les salons les détails du carnage, les scènes de la déroute. Oubliés par les communiqués. Et communiqués par les oubliés.
L’Empereur adresse deux messagers, Lazare Carnot à la Chambre des pairs et Regnault de Saint-Jean-d’Angély à la Chambre des représentants. Un homme de cœur. Un homme de paille. Carnot lit lentement la communication de l’Empereur. « J’ai fourni un communiqué au ministère des Affaires étrangères avec le comte Carnot et le duc d’Otrante, pour renouveler et poursuivre les
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