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La nuit

La nuit

Titel: La nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Wiesel
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qui nous regardait. Une inscription :
« Attention ! Danger de mort ». Dérision : y avait-il ici
un seul endroit où l’on ne fût pas en danger de mort ?
    Les Tziganes s’étaient arrêtés près d’une baraque. Ils
furent remplacés par des S.S. qui nous encerclèrent. Revolvers, mitraillettes, chiens
policiers.
    La marche avait duré une demi-heure. Regardant autour de moi,
je m’aperçus que les barbelés étaient derrière nous. Nous étions sortis du camp.
    C’était une belle journée de mai. Des parfums de printemps
flottaient dans l’air. Le soleil baissait vers l’ouest.
    Mais à peine eut-on marché quelques instants qu’on aperçût
les barbelés d’un autre camp. Une porte en fer avec, au-dessus, cette
inscription : « Le travail, c’est la liberté ! »
    Auschwitz.
     
    Première impression : c’était mieux que Birkenau. Des
bâtiments en béton à deux étages au lieu des baraques de bois. Des jardinets çà
et là. On nous conduisit vers un de ces « blocks ». Assis par terre à
la porte, nous recommençâmes d’attendre. De temps à autre, on faisait entrer
quelqu’un. C’étaient les douches, formalité obligatoire à l’entrée de tous ces
camps. Qu’on aille de l’un à l’autre plusieurs fois par jour, il fallait passer
chaque fois par les bains.
    Sortis de l’eau chaude, on restait à grelotter dans la nuit.
Les vêtements étaient restés dans le block, et on nous avait promis d’autres
habits.
    Vers minuit, on nous dit de courir.
    — Plus vite, hurlaient les gardiens. Plus vite vous
courrez, plus tôt vous irez vous coucher.
    Après quelques minutes de course folle, nous arrivâmes
devant un nouveau block. Le responsable nous y attendait. C’était un jeune
Polonais, qui nous souriait. Il se mit à nous parler et, malgré notre lassitude,
nous l’écoutâmes patiemment :
    — Camarades, vous vous trouvez au camp de concentration
d’Auschwitz. Une longue route de souffrances vous attend. Mais ne perdez pas
courage. Vous venez déjà d’échapper au plus grand danger : la sélection. Eh
bien, rassemblez vos forces et ne perdez pas espoir. Nous verrons tous le jour
de la libération. Ayez confiance en la vie, mille fois confiance. Chassez le
désespoir et vous éloignerez de vous la mort. L’enfer ne dure pas éternellement…
Et maintenant, une prière, plutôt un conseil : que la camaraderie règne
parmi vous. Nous sommes tous des frères et subissons le même sort. Au-dessus de
nos têtes flotte la même fumée. Aidez-vous les uns les autres. C’est le seul
moyen de survivre. Assez parlé, vous êtes fatigués. Écoutez ; vous êtes
dans le block 17 ; je suis le responsable de l’ordre ici ; chacun
peut venir me voir s’il a à se plaindre de quelqu’un. C’est tout. Allez dormir.
Deux personnes par lit. Bonne nuit.
    Les premières paroles humaines.
     
    Dès que nous eûmes grimpé sur nos châlits, un lourd sommeil
nous assaillit.
    Le lendemain matin, les « anciens » nous
traitèrent sans brutalité. Nous allâmes aux lavabos. On nous donna des
vêtements neufs. On nous apporta du café noir.
    Nous quittâmes le block vers dix heures, pour permettre le nettoyage.
Dehors, le soleil nous réchauffa. Notre moral était bien meilleur. Nous
ressentions les bienfaits du sommeil de la nuit. Des amis se rencontraient, on
échangeait quelques phrases. On parlait de tout, sauf de ceux qui avaient
disparu. L’opinion générale était que la guerre était sur le point de s’achever.
    Vers midi, on nous apporta de la soupe, une assiette de
soupe épaisse pour chacun. Bien que tenaillé par la faim, je refusai d’y
toucher. J’étais encore l’enfant gâté de jadis. Mon père avala ma ration.
    À l’ombre du block, nous fîmes ensuite une petite sieste. Il
avait dû mentir, l’officier S.S. de la baraque boueuse : Auschwitz était
bien une maison de repos…
    Dans l’après-midi, on nous mit en rangs. Trois prisonniers
apportèrent une table et des instruments médicaux. La manche du bras gauche
relevée, chacun devait passer devant la table. Les trois « anciens »,
des aiguilles à la main, nous gravaient un numéro sur le bras gauche. Je devins
A-7713. Je n’eus plus désormais d’autre nom.
    Au crépuscule, appel. Les kommandos de travailleurs étaient
rentrés. Près de la porte, l’orchestre jouait des marches militaires. Des
dizaines de milliers de détenus se tenaient sur les rangs pendant que les S.S. vérifiaient
leur

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