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La nuit

La nuit

Titel: La nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Wiesel
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nombre.
    Après l’appel, les prisonniers de tous les blocks se
dispersèrent à la recherche d’amis, de parents, de voisins arrivés par le
dernier convoi.
     
    Les jours passaient. Le matin : café noir. À midi :
soupe. (Le troisième jour, je mangeais n’importe quelle soupe avec appétit). À
six heures de l’après-midi : appel. Ensuite du pain et quelque chose. À
neuf heures : au lit.
    Nous étions déjà depuis huit jours à Auschwitz. C’était
après l’appel. Nous n’attendions plus que le son de la cloche qui devait
annoncer la fin de l’appel. J’entendis tout à coup quelqu’un passer entre les
rangs et demander :
    Qui d’entre vous est Wiesel de Sighet ?
    Celui qui nous cherchait était un petit bonhomme à lunettes,
au visage ridé et vieilli. Mon père lui répondit :
    — C’est moi, Wiesel de Sighet.
    Le petit bonhomme le dévisagea longuement, les yeux plissés :
    — Vous ne me reconnaissez pas… Vous ne me reconnaissez
pas… Je suis votre parent, Stein. Déjà oublié ? Stein ! Stein d’Anvers.
Le mari de Reizel. Votre femme était la tante de Reizel… Elle nous écrivait
souvent… et quelles lettres !
    Mon père ne l’avait pas reconnu. Il devait l’avoir à peine
connu, car il était toujours plongé jusqu’au cou dans les affaires de la
communauté et beaucoup moins versé dans les affaires de famille. Il était
toujours ailleurs, perdu dans ses pensées. (Une fois, une cousine était venue
nous voir à Sighet. Elle habitait chez nous et mangeait à notre table depuis
quinze jours lorsque mon père remarqua sa présence pour la première fois). Non,
il ne pouvait pas se souvenir de Stein. Moi, je l’avais très bien reconnu. J’avais
connu Reizel, sa femme, avant qu’elle ne parte pour la Belgique. Il parla :
    — On m’a déporté en 1942. J’ai entendu dire qu’un
transport était arrivé de votre région et je suis allé à votre recherche. J’ai
pensé que vous auriez peut-être des nouvelles de Reizel et de mes deux petits
garçons qui sont restés à Anvers…
    Je ne savais rien à leur sujet. Depuis 1940, ma mère n’avait
plus reçu une seule lettre d’eux. Mais je mentis :
    — Oui, ma mère a reçu des nouvelles de chez vous. Reizel
se porte très bien. Les enfants aussi…
    Il pleurait de joie. Il aurait voulu rester plus longtemps, connaître
plus de détails, s’imbiber de bonnes nouvelles, mais un S.S. s’approchait et il
dut s’en aller, nous criant qu’il reviendrait le lendemain.
    La cloche annonça qu’on pouvait se disperser. Nous allâmes
chercher le repas du soir, pain et margarine. J’avais une faim terrible et
avalai aussitôt ma ration sur place. Mon père me dit :
    — Il ne faut pas manger tout d’un coup. Demain aussi
est une journée…
    Et voyant que son conseil était arrivé trop tard et qu’il ne
restait plus rien de ma ration, il n’entama même pas la sienne :
    — Moi, je n’ai pas faim, dit-il.
     
     
    Nous demeurâmes à Auschwitz trois semaines. Nous n’avions
rien à faire. Nous dormions beaucoup. L’après-midi et la nuit.
    L’unique souci était d’éviter les départs, de rester ici le
plus longtemps possible. Ce n’était pas difficile : il suffisait de ne
jamais s’inscrire comme ouvrier qualifié. Les manœuvres, on les gardait pour la
fin.
    Au début de la troisième semaine, on destitua notre chef de
block, jugé trop humain. Notre nouveau chef était féroce et ses aides de
véritables monstres. Les bons jours étaient passés. On commença à se demander s’il
ne valait pas mieux se laisser désigner pour le prochain départ.
    Stein, notre parent d’Anvers, continuait à nous rendre
visite et, de temps à autre, apportait une demi-ration de pain :
    — Tiens, c’est pour toi, Eliezer.
    Chaque fois qu’il venait, des larmes lui coulaient sur les
joues, s’y figeaient, s’y glaçaient. Souvent, il disait à mon père :
    — Surveille ton fils. Il est très faible, desséché. Surveillez-vous
bien, pour éviter la sélection. Mangez ! N’importe quoi et n’importe quand.
Dévorez tout ce que vous pouvez. Les faibles ne font pas long feu ici…
    Et il était lui-même si maigre, si desséché, si faible…
    — La seule chose qui me garde en vie, avait-il coutume
de dire, est de savoir que Reizel vit encore et mes petits. N’était-ce pour eux,
je ne tiendrais pas.
    Il vint vers nous, un soir, le visage radieux.
    — Un transport vient d’arriver d’Anvers.

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