La nuit
J’irai les
voir demain. Ils auront sûrement des nouvelles…
Il s’en alla.
Nous ne devions plus le revoir. Il avait eu des nouvelles. De vraies nouvelles.
Le soir, couchés sur nos litières, nous essayions de chanter
quelques mélodies hassidiques et Akiba Drumer nous brisait le cœur de sa voix
grave et profonde.
Certains parlaient de Dieu, de ses voies mystérieuses, des
péchés du peuple juif et de la délivrance future. Moi, j’avais cessé de prier. Comme
j’étais avec Job ! Je n’avais pas renié Son existence, mais je doutais de
Sa justice absolue.
Akiba Drumer disait :
— Dieu nous éprouve. Il veut voir si nous sommes
capables de dominer les mauvais instincts, de tuer en nous le Satan. Nous n’avons
pas le droit de désespérer. Et s’il nous châtie impitoyablement, c’est signe qu’il
nous aime d’autant plus…
Hersch Genud, versé dans la Kabbale, parlait, lui, de la fin
du monde et de la venue du Messie.
De temps à autre seulement, au milieu de ces bavardages, une
pensée bourdonnait dans mon esprit : « Où est maman, en ce moment… et
Tzipora… »
— Maman est encore une femme jeune, dit une fois mon
père. Elle doit être dans un camp de travail. Et Tzipora, n’est-elle pas déjà
une grande fille ? Elle aussi doit être dans un camp…
Comme on aurait voulu y croire ! On faisait semblant :
si l’autre, lui, y croyait ?
Tous les ouvriers qualifiés avaient déjà été envoyés vers d’autres
camps. Nous n’étions plus qu’une centaine de simples manœuvres.
— C’est votre tour, aujourd’hui, nous annonça le
secrétaire du block. Vous partez avec les transports.
À dix heures, on nous donna la ration de pain quotidienne. Une
dizaine de S.S. nous entourèrent. À la porte, le panneau : « Le
travail, c’est la liberté ! ». On nous compta. Et voilà, nous étions
en pleine campagne, sur la route ensoleillée. Au ciel, quelques petits nuages
blancs.
On marchait lentement. Les gardiens n’étaient pas pressés. Nous
nous en réjouissions. À la traversée des villages, beaucoup d’Allemands nous
dévisageaient sans étonnement. Ils avaient probablement déjà vu pas mal de ces
processions…
En chemin, on rencontra de jeunes Allemandes. Les gardiens
se mirent à les taquiner. Les filles riaient, heureuses. Elles se laissèrent
embrasser, chatouiller, et éclataient de rire. Ils riaient tous, plaisantaient,
se jetèrent des mots d’amour durant un bon bout de chemin. Pendant ce temps, au
moins nous n’avions à subir ni cris ni coups de crosse.
Au bout de quatre heures, nous arrivâmes au nouveau camp :
Buna. La porte de fer se referma derrière nous.
Chapitre IV
Le camp avait l’air d’avoir subi une épidémie : vide et
mort. Seuls quelques détenus « bien vêtus » se promenaient entre les
blocks.
Bien entendu, on nous fit d’abord passer par les douches. Le
responsable du camp nous y rejoignit. C’était un homme fort, bien bâti, large d’épaules ;
cou de taureau, lèvres épaisses, cheveux frisés. Il faisait l’impression d’être
bon. Un sourire brillait de temps en temps dans ses yeux bleu cendré. Notre
convoi comportait quelques enfants de dix, douze ans. L’officier s’intéressa à
eux et ordonna qu’on leur apportât quelque nourriture.
Après qu’on nous eût donné de nouveaux habits, nous fûmes
installés dans deux tentes. Il fallait attendre qu’on nous incorpore dans des
kommandos de travail, puis on passerait dans un block.
Le soir, les kommandos de travail rentrèrent des chantiers. Appel.
Nous nous mîmes à rechercher des connaissances, à interroger les anciens pour
savoir quel kommando de travail était le meilleur, dans quel block il faudrait
essayer d’entrer. Tous les détenus étaient d’accord pour dire :
— Buna est un camp très bien. On peut tenir le coup. L’essentiel
est de ne pas être affecté au kommando de la construction…
Comme si le choix avait été entre nos mains.
Notre chef de tente était un Allemand. Le visage d’un
assassin, les lèvres charnues, les mains pareilles aux pattes d’un loup. La
nourriture du camp ne lui avait pas mal profité : c’est tout juste s’il
pouvait se remuer. Comme le chef du camp, il aimait les enfants. Aussitôt après
notre arrivée, il leur avait fait apporter du pain, de la soupe et de la
margarine. (En réalité, cette affection n’était pas désintéressée : les
enfants faisaient ici l’objet,
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