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La nuit

La nuit

Titel: La nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Wiesel
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redonnait confiance en la vie.
    Le bombardement dura plus d’une heure. S’il avait pu durer dix
fois dix heures… Puis le silence se rétablit. Le dernier bruit d’avion
américain disparu avec le vent, nous nous retrouvions dans notre cimetière. À l’horizon
s’élevait une large traînée de fumée noire. Les sirènes se remirent à hurler. C’était
la fin de l’alerte.
    Tout le monde sortit des blocks. On respirait à pleins
poumons l’air tout empli de feu et de fumée, et les yeux étaient illuminés d’espoir.
Une bombe était tombée au milieu du camp, près de la place d’appel, mais elle n’avait
pas explosé. Nous dûmes la transporter en dehors du camp.
    Le chef du camp, accompagné de son adjoint et du kapo en
chef, faisait une tournée d’inspection à travers les allées. Le raid avait
laissé sur son visage les traces d’une grande peur.
    En plein milieu du camp, seule victime, gisait le corps de l’homme
au visage souillé de soupe. Les chaudrons furent rapportés dans la cuisine.
    Les S.S. avaient regagné leur poste sur les tourelles, derrière
leurs mitrailleuses. L’entracte était terminé.
    Au bout d’une heure, on vit revenir les kommandos, au pas, comme
d’habitude. J’aperçus avec joie mon père.
    — Plusieurs bâtiments ont été rasés, me dit-il, mais le
dépôt n’a pas souffert…
    Dans l’après-midi, nous allâmes, avec entrain, déblayer les
ruines.
     
    Une semaine plus tard, en rentrant du travail, nous
aperçûmes au milieu du camp, sur la place de l’appel, une potence noire.
    Nous apprîmes que la soupe serait distribuée seulement après
l’appel. Celui-ci dura plus longtemps que d’ordinaire. Les ordres étaient
donnés d’une manière plus sèche que les autres jours et l’air avait d’étranges
résonances.
    — Découvrez-vous ! hurla soudain le chef du camp.
    Dix mille calots furent enlevés en même temps.
    — Couvrez-vous !
    Dix mille calots rejoignirent les crânes, avec la rapidité
de l’éclair.
    La porte du camp s’ouvrit. Une section de S.S. apparut et
nous entoura : un S.S. tous les trois pas. Des tourelles, les
mitrailleuses étaient pointées vers la place d’appel.
    — Ils craignent des troubles, murmura Juliek.
    Deux S.S. s’étaient dirigés vers le cachot. Ils revinrent, encadrant
le condamné. C’était un jeune, de Varsovie. Il avait trois années de camp de
concentration derrière lui. C’était un garçon fort et bien bâti, un géant
comparé à moi.
    Le dos à la potence, le visage tourné vers son juge, le chef
du camp, il était pâle, mais semblait plus ému qu’effrayé. Ses mains enchaînées
ne tremblaient point. Ses yeux contemplaient froidement les centaines de
gardiens S.S., les milliers de prisonniers qui l’entouraient.
    Le chef de camp se mit à lire le verdict, martelant chaque
phrase :
    — Au nom du Reichsführer Himmler… le détenu n°… a
dérobé pendant l’alerte… D’après la loi… paragraphe… le détenu n°… est condamné
à la peine de mort. Que ce soit un avertissement et un exemple pour tous les
détenus.
    Personne ne bougea.
    J’entendis battre mon cœur. Les milliers de gens qui
mouraient quotidiennement à Auschwitz et à Birkenau, dans les fours crématoires,
avaient cessé de me troubler. Mais celui-ci, appuyé à sa potence de mort, celui-ci
me bouleversait.
    — Ça va bientôt finir, cette cérémonie ? J’ai faim…
chuchotait Juliek.
    Sur un signe du chef de camp, le Lagerkapo s’approcha
du condamné. Deux prisonniers l’aidaient dans sa tâche. Pour deux assiettes de
soupe.
    Le kapo voulut bander les yeux du condamné, mais celui-ci
refusa.
    Après un long moment d’attente, le bourreau lui mit la corde
autour du cou. Il allait faire signe à ses aides de retirer la chaise de
dessous les pieds du condamné, lorsque celui-ci s’écria, d’une voix forte et
calme :
    — Vive la liberté ! Je maudis l’Allemagne ! Je
maudis ! Je mau…
    Les bourreaux avaient achevé leur travail. Tranchant comme
une épée, un ordre traversa l’air :
    — Découvrez-vous !
    Dix mille détenus rendirent les honneurs.
    — Couvrez-vous !
    Puis le camp tout entier, block après block, dut défiler
devant le pendu et fixer les yeux éteints du mort, sa langue pendante. Les
kapos et les chefs du block obligeaient chacun à regarder ce visage bien en
face.
    Après le défilé, on nous donna la permission de regagner les
blocks pour prendre le repas.
    Je me

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