La Papesse Jeanne
protectorat
de saint Pierre, gardien des clés du Royaume des Cieux ! « Tu es
Pierre », a dit le Christ, « et sur cette pierre, je bâtirai mon
église ». Qu’avons-nous à craindre ? Dieu laissera-t-il profaner le
plus sacré de ses autels ?
La foule se tut,
ébranlée.
— C’est la
vérité ! s’écrièrent plusieurs voix. Écoutons notre Saint Père !
Serge a raison !
— N’avons-nous
pas notre vaillante milice ? renchérit le pontife en désignant du bras son
escorte de gardes pontificaux, qui reçurent son salut en brandissant férocement
leurs lances. Le sang de nos glorieux ancêtres coule dans leurs veines !
Ils disposent de la force de Dieu Omnipotent ! Qui donc pourrait les
vaincre ?
La foule émit une
rafale de vivats. Le passé héroïque de Rome restait pour tous une source d’orgueil.
Chaque citoyen connaissait sur le bout des doigts le récit des triomphes militaires
de César, de Pompée et d’Auguste.
Jeanne
considérait Serge avec un émerveillement incrédule. Ce tribun héroïque
pouvait-il être le même que le vieillard souffreteux, mélancolique et découragé
qu’elle avait connu deux ans plus tôt ?
— Qu’ils
viennent donc ! rugit Serge. Qu’ils essaient de faire pleuvoir leurs armes
sur cette forteresse sacrée ! Leurs cœurs se fendront contre nos murs, car
ils sont protégés par Dieu !
Jeanne sentit
distinctement courir sur sa peau la vague croissante d’émotion qui soulevait la
foule. Mais elle était trop lucide pour se laisser transporter aussi
facilement. Quelle que soit la force de notre volonté, le monde n’est pas
tel que nous voudrions qu’il soit.
La foule se
dressa, poings brandis, visages illuminés. Le nom de Serge fusait un peu
partout, dans un concert d’acclamations.
Sur ordre du
pape, le peuple passa les deux jours suivants à jeûner et à prier. Les autels
de toutes les églises redoublèrent de splendeur, illuminés par une profusion de
cierges. On rapportait de partout des récits de miracles. La statue d’or de la
Madone de l’oratoire de Saint-Côme, disait-on, avait bougé les yeux et
psalmodié une litanie. Le crucifix qui surplombait l’autel de Saint-Adrien
avait versé des larmes de sang. Ces miracles furent interprétés comme autant de
signes de la faveur et de la protection divines. Jour et nuit, des Hosanna fervents faisaient vibrer les murs des églises et des monastères. Le clergé de
la ville avait répondu avec enthousiasme aux appels du pape, et chacun se
préparait à refouler l’ennemi par l’entremise de l’invincible force de la foi
chrétienne.
Peu après l’aube
du 26 août, un cri unique résonna jusqu’en bas des remparts.
— Ils
arrivent ! Ils arrivent !
Les hurlements
terrifiés du peuple n’eurent aucune peine à traverser les épais murs de pierre
du Latran.
— Il faut
que je monte sur le chemin de ronde, annonça Serge. En me voyant, le peuple
saura qu’il n’a rien à craindre.
Arighis et les autres
optimates protestèrent, objectant que la chose était trop dangereuse, mais
Serge se montra inflexible. On finit par l’accompagner, non sans avoir pris
soin de choisir l’endroit où la muraille était la plus haute.
Une ovation s’éleva
dès que Serge eut gravi les premières marches. Mais presque aussitôt, tous les
regards se tournèrent vers l’ouest. Un formidable nuage de poussière venait de
s’élever dans le ciel. Tout à coup, les Sarrasins en émergèrent au grand galop.
Leurs amples capes claquaient au vent, semblables à des ailes de rapaces
géants. Un effroyable cri de guerre retentit, sorte de ululement aigu qui resta
longtemps suspendu dans l’air, faisant courir un frisson de terreur sur toutes
les échines.
— Deus,
juva nos, lâcha un prêtre tremblotant.
Serge brandit un
petit crucifix incrusté de pierreries.
— Jésus-Christ
est notre Sauveur et notre Bouclier ! s’exclama-t-il.
Les portes de la
ville s’ouvrirent en grand, et la milice pontificale marcha bravement à la
rencontre de l’ennemi.
— Mort aux
infidèles ! rugissaient les gardes en agitant lances et glaives.
Les deux armées
entrèrent en collision dans un violent fracas de métal. Il ne fallut que
quelques instants pour que chacun comprît que la lutte était inégale. La
cavalerie sarrasine, armée de cimeterres incurvés, enfonça sans mal les rangs
des fantassins romains.
Les lignes
arrière de la milice comprirent trop tard qu’un carnage
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