La Papesse Jeanne
avait lieu à l’avant.
Toujours certains de la victoire, les soldats du pape continuèrent d’avancer,
poussant dans le dos ceux de l’avant-garde. Ligne après ligne, les guerriers
romains tombèrent sous les épées infidèles, formant un amas de corps qui
faisait obstacle à la progression de leurs successeurs.
Ce fut un
massacre. Tout à coup, anéantie et terrifiée, la milice battit en retraite dans
le plus grand désordre.
— Courez !
s’exclamait-on de toutes parts. Courez !
Les Sarrasins ne
se donnèrent pas le mal de poursuivre les fuyards, car leur victoire leur
assurait d’ores et déjà la prise d’un butin autrement précieux : la noble
basilique Saint-Pierre se dressait devant eux, sans défense. Un noir essaim de
cavaliers l’encercla. Sans mettre pied à terre, ils gravirent à cheval les
marches du parvis et en franchirent les portes au galop.
Depuis les
remparts, les Romains ne pouvaient qu’observer, le souffle coupé. Une longue
minute s’écoula, puis une autre. Aucun roulement de tonnerre ne déchira le
ciel, aucune mer de feu ne s’abattit des nuées. À la place, un fracas aisément
identifiable de métal et de bois brisé monta soudain des entrailles de la
basilique. Les Sarrasins étaient en train de piller l’autel sacré.
— C’est
impossible, bégaya le pape Serge. Mon Dieu, cela ne peut pas être !
Une horde de
Sarrasins émergea de l’église, brandissant la croix d’or de Constantin. Des hommes
étaient morts, disait- on, simplement pour avoir osé la toucher. Et cependant,
ces diables d’infidèles l’agitaient en tous sens, hilares, en s’amusant à se la
mettre entre les jambes, sacrilège obscène et bestial !
Avec un
grognement sourd, Serge lâcha son crucifix et tomba à genoux.
— Votre
Sainteté ! cria Jeanne en se précipitant vers lui.
Une main sur la
poitrine, il grimaçait de douleur.
Une attaque du
cœur, se dit Jeanne.
— Emmenez-le,
ordonna-t-elle.
Plusieurs gardes,
aidés d’Arighis, soulevèrent le pontife et le portèrent jusqu’à la demeure la
plus proche, où ils le couchèrent sur une épaisse natte de paille.
Son souffle était
laborieux et haletant. Jeanne prépara une infusion de baies d’aubépine et de
racine de valériane, qu’elle lui donna à boire. Le breuvage parut le soulager :
ses couleurs revinrent imperceptiblement, son souffle se fit moins oppressé.
— Ils sont
aux portes ! hurla quelqu’un, dehors. Dieu nous protège ! Ils sont
aux portes !
Serge voulut se
redresser sur le lit, mais Jeanne le força à s’étendre.
— Vous ne
devez pas bouger, Votre Sainteté.
L’effort l’avait
épuisé. Il plissa les lèvres.
— Parle-leur
en mon nom, souffla-t-il. Qu’ils se tournent vers Dieu... Aide-les...
Prépare-les...
Ses lèvres
continuèrent de s’agiter, mais aucun son n’en sortit.
— Oui, Votre
Sainteté, dit Jeanne, ne pensant qu’à l’apaiser. Je ferai ce que vous me
demandez. Mais reposez-vous, je vous en prie, il le faut.
Serge hocha la
tête, et se laissa aller sur la paille. Sous l’effet de la décoction, ses
paupières clignèrent à plusieurs reprises, puis se fermèrent tout à fait. Il ne
restait plus qu’à le laisser dormir et à espérer que le remède serait efficace.
Jeanne laissa le
pontife sous la surveillance d’Arighis et sortit dans la rue.
Un vacarme assourdissant,
semblable au tonnerre, retentit non loin. Elle sursauta.
— Que se
passe-t-il ? lança-t-elle à un groupe de gardes qui passaient en courant.
— Ces porcs
idolâtres sont en train d’enfoncer les portes !
Elle revint sur
la place. La terreur avait jeté la foule dans un accès de frénésie. Des hommes
s’arrachaient violemment les cheveux. Des femmes hurlaient et se griffaient les
joues jusqu’au sang. Les moines de l’abbaye de Saint-Jean étaient agenouillés
en un bouquet noir et compact, les bras tendus vers le ciel. Plusieurs d’entre
eux avaient arraché leur robe de bure et se fouettaient les flancs à grands
coups de jonc, sans doute pour apaiser l’évident courroux du Seigneur.
Bouleversés par ce déploiement de violence, les enfants pleuraient, et leurs
voix aiguës se mêlaient au chœur discordant des cris adultes.
Aide-les, avait dit le pape. Prépare-les.
Mais comment ?
Jeanne monta
quatre à quatre les marches de pierre qui menaient au chemin de ronde, au
sommet du rempart. Ayant ramassé le crucifix lâché par le pape, elle le brandit
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