La Papesse Jeanne
mettions à l’abri derrière les remparts de la ville, de même que
le sarcophage de saint Pierre.
— Ce n’est
pas la première alerte de ce genre, fit observer Serge, sceptique. Et il ne s’est
jamais rien passé.
— En effet,
renchérit Romuald, si nous devions prendre ce genre de mesures chaque fois que
quelqu’un aperçoit une voile sarrasine, les reliques sacrées passeraient leur
temps à aller et venir comme une paire de navettes sur un métier à tisser !
Quelques éclats
de rire furent réduits au silence par un froncement de sourcils pontifical.
— Dieu
défendra les siens, déclara Serge. Le prince des Apôtres restera là où il est.
— Au moins,
insista Jeanne, demandons aux villes voisines de nous envoyer des hommes d’armes
pour renforcer la défense de Rome.
— C’est la
saison de l’émondage, objecta Serge. Tous les bras sont nécessaires pour
tailler les vignes. Pourquoi compromettre la récolte, de laquelle tout dépend,
s’il n’y a pas de danger immédiat ?
— Mais,
Votre Sainteté...
— Fie-toi à
Dieu, Jean Anglicus. Je ne connais point d’armure plus puissante que la foi et
la prière chrétiennes.
Jeanne courba
humblement la tête, gardant pour elle un flot de pensées autrement rebelles. Si les Sarrasins arrivent à nos portes, il s’en faudra de beaucoup pour que
toutes les prières du monde atteignent à la moitié de l’efficacité d’une seule
division de combattants.
Gerold et sa
compagnie campaient aux abords de la ville de Bénévent. Dans l’obscurité des
tentes, les hommes dormaient à poings fermés après une folle nuit de ripaille,
offerte par le comte afin de les récompenser de leur éclatante victoire de la
veille.
Depuis deux ans,
Gerold commandait les armées du prince Siconulf, qui luttait bec et ongles pour
défendre son trône des menées de son rival Radelchis. Excellent officier,
capable de bousculer ses hommes quand il s’agissait de leur apprendre la
discipline et le maniement des armes, mais aussi de leur faire pleinement
confiance sur le champ de bataille, Gerold avait infligé défaite sur défaite
aux forces ennemies. La victoire de la veille était si écrasante qu’elle ferait
probablement perdre à Radelchis toute prétention au trône de Bénévent.
Malgré les
sentinelles en armes postées tout autour du camp, Gerold et ses hommes
dormaient avec l’épée au côté, afin de l’avoir toujours à portée de la main. Le
comte préférait ne prendre aucun risque, sachant fort bien qu’un ennemi pouvait
rester dangereux même après sa défaite. La soif de vengeance poussait souvent
les vaincus à des actes désespérés. Gerold connaissait plus d’un camp
victorieux pris par surprise, et dont les soldats avaient été massacrés avant
même d’avoir eu le temps de reprendre leurs esprits.
Pour l’heure,
cependant, ses pensées voguaient bien loin de cette sorte d’inquiétude. Il
était étendu sur le dos, les mains sous la nuque, les jambes nonchalamment
dépliées. Près de lui, couverte de sa cape, une femme respirait régulièrement,
émettant parfois un léger ronflement.
Dans la clarté de
l’aube, Gerold se prit à regretter la brève bouffée de désir animal qui avait
fait échouer cette inconnue sur sa couche. Il avait connu maintes rencontres
passagères au fil des ans, chacune moins satisfaisante et plus promptement
oubliée que la précédente. Force était de l’admettre : il choyait le
souvenir d’un amour qui ne pourrait jamais être oublié.
Il secoua la tête
avec impatience. À quoi bon ressasser le passé ? Jeanne ne partageait pas
ses sentiments. Pour quelle raison, autrement, l’aurait-elle rejeté ?
Sa compagne roula
sur le flanc. Gerold lui toucha l’épaule, et elle s’éveilla, fixant sur lui une
jolie paire d’yeux bruns au regard vide.
Il prit quelques
piécettes dans sa bourse de cuir et les lui tendit.
— C’est le
matin, dit-il.
La fille fit
tinter les pièces dans sa paume avec un sourire espiègle.
— Dois-je
revenir ce soir, messire ?
— Ce n’est
pas nécessaire.
— Vous ai-je
déplu ? demanda-t-elle, chagrine.
— Non, bien
sûr. Mais nous levons le camp dès ce soir.
Peu après, Gerold
la regarda s’éloigner sur le pré, piétinant l’herbe sèche de la semelle de ses
sandales. Au-dessus d’elle, le ciel nuageux virait lentement au gris pâle.
Un jour nouveau
était en train de naître.
Siconulf et ses
principaux
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