La Papesse Jeanne
dérober sous
ses pieds.
Elle hurla,
trébucha, et réussit à s’accrocher au plat-bord tandis que l’esquif, menaçant à
chaque instant de se retourner, était précipité dans le courant furieux. L’eau
l’encerclait de partout. Elle leva la tête, à bout de souffle, et aperçut
Gerold recroquevillé près de la barre.
Avec un horrible
fracas, la barque s’arrêta net. Jeanne fut précipitée contre le banc de nage.
Pendant de
longues secondes, elle resta immobile, hébétée, sans comprendre. Lorsqu’elle se
décida enfin à jeter un coup d’œil autour d’elle, elle vit quelque chose qu’elle
ne comprit pas : des murs, une table, des chaises.
La barque avait
pénétré à l’intérieur d’une maison. La force stupéfiante du torrent l’avait
précipitée contre une fenêtre d’étage, dont elle avait en partie défoncé le
cadre.
Gerold gisait à l’arrière
de l’esquif, le visage tourné contre le plancher qui baignait dans plusieurs
pouces d’eau. Elle rampa vers lui, le retourna. Il était inerte. Il ne
respirait plus. Elle le hissa hors de la barque et le déposa au sol, sur le
ventre. Puis elle appuya fortement sur son dos pour chasser l’eau de ses
poumons. Il ne peut pas mourir. Il ne doit pas mourir. Dieu n’était pas
cruel à ce point. Soudain, l’image du malheureux enfant penché à sa fenêtre l’assaillit. Dieu est capable de tout.
Elle appuya,
relâcha. Appuya, relâcha encore. Et encore.
La bouche de
Gerold s’ouvrit tout à coup pour libérer une gerbe d’eau.
Dieu soit loué !
Il respirait de nouveau. Jeanne l’examina avec soin. Aucun os brisé, aucune
plaie ouverte. En revanche, elle releva une grosse contusion noirâtre à la
naissance de son front, où il avait probablement reçu un coup violent. Sans
doute était-ce ce coup qui l’avait assommé.
Pourquoi ne
revient-il pas à lui ? Gerold restait abîmé
dans son sommeil artificiel. Sa peau était pâle et moite, son souffle court,
son pouls faible, trop rapide. Que se passe-t-il ? Que puis-je faire de
plus ?
« Un choc
violent provoque un froid pénétrant qui peut tuer un homme », avait écrit
Hippocrate. Cette phrase, qui lui avait autrefois permis de sauver la vie de
Gottschalk, lui revint tout à coup en mémoire.
Il n’y avait plus
un instant à perdre. Elle devait réchauffer Gerold.
Des rafales de
vent et de pluie s’engouffraient à l’intérieur grâce à la brèche ouverte par le
passage de la barque. Jeanne se redressa et se mit en devoir d’explorer les
lieux. Derrière la pièce où elle se trouvait, elle en découvrit une seconde,
plus petite, dénuée de fenêtre et par conséquent plus sèche. En son centre,
elle aperçut un petit trépied de fer dans lequel étaient jetées quelques
bûches. Elle trouva aussi une pierre à feu et quelques brins de paille sur une
étagère, ainsi qu’une couverture de grosse laine, déchirée mais sèche, dans une
malle du coin de la pièce.
Revenue auprès de
Gerold, elle le souleva par les épaules et le traîna à l’arrière, l’étendant
près du trépied. Brins de paille dans une main, elle entrechoqua la pierre à
feu et le fer du trépied. Ses mains tremblaient tellement qu’elle dut s’y
reprendre à plusieurs fois pour obtenir une étincelle. Enfin, la paille
consentit à s’embraser. Elle la déposa au fond du trépied, où des flammèches s’élevèrent,
léchant les rondins. Le bois humide siffla, cracha, rechignant à brûler. Un
fragment d’écorce rougeoya. Jeanne éventa la flamme, la couva avec ferveur. Au
moment où le feu allait enfin prendre, une violente rafale de vent pénétra dans
la pièce et l’éteignit.
Elle jeta un
regard désespéré sur les bûches. Il ne lui restait plus de paille, et donc
aucun moyen de rallumer un feu. Gerold était toujours inanimé. Sa peau était en
train de virer au bleuâtre, et ses yeux semblaient s’enfoncer un peu plus dans
leurs orbites à chaque minute qui passait.
Il ne restait
plus qu’une solution. En hâte, elle ôta les vêtements trempés de Gerold et
découvrit son corps musculeux, marqué çà et là de cicatrices récoltées lors d’anciennes
batailles. Quand sa tâche fut achevée, elle jeta sur lui la couverture.
Elle se redressa,
et, frissonnant dans l’air glacé, entreprit de se déshabiller à son tour :
elle retira d’abord sa pénule et sa dalmatique, puis son aube, son amict, et sa
ceinture. Une fois nue, elle se coula sous la couverture et
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