La Papesse Jeanne
se lova de tout son
long contre Gerold.
Elle l’étreignit
pour lui communiquer un peu de sa chaleur, pour lui insuffler un peu de vigueur
et de vie.
Bats-toi,
Gerold, mon amour. Bats-toi.
Fermant les yeux,
elle se concentra afin de jeter un pont entre leurs âmes. Plus rien d’autre n’existait.
La petite pièce, le feu éteint, la barque, la tempête qui faisait rage, rien de
tout cela n’était réel. Ils étaient seuls au monde. Ils vivraient unis ou
périraient ensemble.
Les paupières de
Gerold frémirent. D’instinct, il leva une main, comme pour écarter quelque
voile invisible. Jeanne se pressa contre lui de plus belle. Il s’éveilla. Ses
yeux de saphir la considérèrent sans la moindre trace de surprise. Il savait
déjà qu’elle était près de lui.
— Ma
perle... murmura-t-il.
Pendant un
interminable moment, ils restèrent silencieux, unis par une connivence muette.
Puis il passa un bras autour d’elle pour l’attirer contre lui. Ses doigts
touchèrent les épaisses cicatrices qui lardaient le dos de Jeanne.
— La marque
du fouet ? demanda-t-il.
— Oui,
répondit-elle, rougissante.
— Qui t’a
fait cela ?
Lentement,
timidement, elle conta la façon dont son père l’avait battue jusqu’au sang
après qu’elle eut refusé d’effacer le livre d’Asclepios.
Gerold resta coi,
mais ses mâchoires se crispèrent. Il se pencha sur elle et baisa une à une ses
cicatrices.
Au fil des ans,
Jeanne avait appris à juguler ses émotions, à refouler sa douleur et ses
sanglots. Mais cette fois, elle autorisa ses larmes à couler librement sur ses
joues.
Il l’étreignit
tendrement, en lui murmurant une cascade de mots doux, jusqu’à ce que ses
larmes se tarissent. Leurs lèvres se mêlèrent, leurs corps entiers, et Jeanne
fut envahie par une bouleversante vague de chaleur. Elle enlaça Gerold et ferma
les yeux, grisée par la douceur de ses sensations – par la reddition de
sa volonté, enfin pliée aux désirs de son corps.
Était-ce contre
cette volupté que sa mère avait jadis voulu la mettre en garde ? Était-ce
ce miracle qu’elle avait fui durant tant d’années ? Se donner n’était pas
se vendre. Elle eut plutôt l’impression de vivre une glorieuse expansion de son
être – un peu comme une prière, faite non de mots mais de regards, de
caresses, de baisers et de peaux mêlées.
— Je t’aime !
s’écria-t-elle au moment de l’extase.
Et il n’y avait
nulle profanation dans ces paroles – mais plutôt un sacrement.
Dans la grande
salle du palais du Latran, Arsène attendait des nouvelles du pape avec les
optimates et les membres du haut clergé. Lorsqu’on l’avait avisé de l’attitude
du pape Jean face aux inondations, c’était tout juste s’il en avait cru ses
oreilles. Mais après tout, fallait-il s’attendre à autre chose de la part d’un
étranger issu de la plèbe ?
Radoin,
commandant en second de la milice papale, pénétra en coup de vent dans la
salle.
— Quelles sont
les nouvelles ? s’empressa d’interroger le primicerius.
— Nous avons
réussi à sauver de nombreuses vies, expliqua Radoin. Hélas, je crains que nous
n’ayons perdu Sa Sainteté.
— Perdu ?
Que veux-tu dire par là ?
— Sa
Sainteté avait pris place dans la barque du superista. Nous pensions tous qu’ils
nous suivaient, mais sans doute ont-ils rebroussé chemin pour secourir quelque
survivant. C’était juste avant l’effondrement de la porte Sainte-Agathe et le
raz-de-marée.
Un concert de
cris horrifiés salua la nouvelle. Plusieurs prélats se signèrent.
— Est-il
possible qu’ils aient survécu ? demanda Arsène.
— Non,
répondit Radoin. Les flots ont tout balayé sur leur passage.
Arsène dut
produire un gros effort pour dissimuler son enthousiasme.
— Dieu les
garde, réussit-il à dire.
— Dois-je
faire sonner le glas ? demanda l’archiprêtre.
— Pas
encore, répondit Pascal. Ne nous précipitons pas. Le pape Jean est le premier
Vicaire de notre Seigneur. Il se peut que Dieu ait accompli un miracle pour le
sauver.
— Pourquoi
ne pas entreprendre des recherches sur place ? suggéra Arsène, désireux de
s’assurer au plus tôt de la vacance du Trône de Pierre.
— L’effondrement
de la porte nord a rendu tout le quartier inaccessible, expliqua Radoin. Nous
ne pourrons rien faire avant la décrue.
— Dans ce
cas, prions, proposa Pascal. Deus misereatur nostri et benedicat
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