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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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assourdissante.
Sitôt fait, elle stupéfia tous les spectateurs en enjambant le plat-bord de la
barque où se tenait Gerold.
    — Que... que
fais-tu ? souffla-t-il, sidéré. Tu n’envisages tout de même pas de nous
suivre !
    — Et
pourquoi pas ?
    — C’est trop
dangereux !
    — J’irai là
où l’on a besoin de moi.
    Eustathe, l’archiprêtre,
les observait d’un air navré depuis l’embarcadère.
    — Votre
Sainteté, pensez à la dignité de votre rang ! Vous êtes le pape, l’évêque
de Rome ! Risqueriez-vous votre vie pour une poignée de manants ?
    — Ce sont
les enfants de Dieu, Eustathe, au même titre que toi et moi.
    — Mais...
qui dira les litanies ?
    — Toi,
Eustathe. Et mets-y tout ton cœur, car nous aurons grand besoin de tes prières,
répliqua-t-elle, en se tournant vers Gerold. Eh bien, superista ?
Comptes-tu souquer, ou dois-je le faire à ta place ?
    Reconnaissant
sans peine la flamme de détermination qui dansait dans ses prunelles gris-vert,
Gerold prit les rames. Il n’était plus temps de discuter : les flots
continuaient leur inexorable montée. Entraînée par ses coups de rame puissants,
la barque s’éloigna du ponton.
    Eustathe cria
quelque chose, mais ses paroles se perdirent dans le vent et la pluie.
    La flottille
improvisée mit le cap au nord-ouest. Le Tibre avait envahi toute la partie
basse de Rome, comme s’il se fût agi de son lit. De la Porta Septimania au pied
de la colline du Capitole, tous les bâtiments, maisons et églises, étaient
inondés. La colonne de Marc Aurèle était à demi submergée ; des vagues
léchaient le pas des portes du Panthéon.
    À l’approche du
Champ de Mars, les marques des terribles ravages causés par l’inondation se
multiplièrent. Débris de bois et restes de cabanes effondrées étaient charriés
par le courant ; des cadavres flottaient à la surface, tournant sur
eux-mêmes au gré des caprices du torrent. Épouvantés, les habitants des maisons
qui tenaient encore debout s’étaient réfugiés dans les étages supérieurs.
Agglutinés aux fenêtres, ils agitaient désespérément les bras en appelant au
secours.
    Les bateaux se
séparèrent, et chacun mit le cap sur une maison. Les vagues rendaient l’approche
difficile. Certains habitants, pris de panique, se jetaient à l’eau dès qu’ils
voyaient une embarcation. D’autres échouaient sur la proue ou le plat-bord de
la barque et la faisaient chavirer. Une intense confusion régnait à la surface,
où ceux qui ne savaient pas nager essayaient désespérément de s’accrocher à
ceux qui savaient, pendant que les rameurs, dans un concert de jurons,
tentaient d’équilibrer leurs esquifs.
    Enfin, toute la
flottille s’ébranla à la file en direction de la colline du Capitole, au pied
de laquelle furent débarqués les infortunés passagers, invités à trouver refuge
sur la terre ferme. Sitôt cette opération terminée, on repartit vers le Champ
de Mars afin de sauver d’autres vies.
    Les sauveteurs
firent ainsi plusieurs voyages. Les tuniques collaient aux corps, les muscles
étaient tiraillés de fatigue. Alors qu’ils s’en revenaient vers le Capitole,
croyant avoir sauvé tous ceux qui pouvaient l’être, Jeanne entendit l’appel d’une
voix enfantine. Elle se retourna et aperçut la silhouette d’un garçonnet à une
fenêtre. Sans doute venait-il de se réveiller, à moins que la panique ne l’eût
empêché de s’approcher plus tôt de la fenêtre.
    Jeanne et Gerold
échangèrent un bref regard. Sans un mot, le comte changea de cap, revint en
arrière, et immobilisa la barque sous la fenêtre au bord de laquelle se
penchait l’enfant. Jeanne se leva et tendit les bras vers lui.
    — Saute !
Saute tout de suite, je vais t’attraper !
    L’enfant resta
paralysé, fixant des yeux agrandis par la terreur sur le bateau qui oscillait
en contrebas.
    — Saute !
répéta Jeanne.
    Très lentement,
le garçon enjamba l’appui de la fenêtre. Tendant toujours les bras, Jeanne se
hissa sur la pointe des pieds.
    À cet instant, un
grondement assourdissant emplit le ciel. L’antique porte Sainte-Agathe, sur le
flanc nord du mur auré- lien, venait de céder sous la pression des flots.
Soulevé par une vague terrifiante, le Tibre était en train d’envahir la ville.
    Jeanne vit la
bouche du garçonnet former un cri de terreur au moment où le bâtiment s’ouvrait
en deux. À la même seconde, elle sentit le fond de la barque se

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