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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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plusieurs mois, la question de la succession papale
avait été âprement débattue. En fin de compte, convaincu qu’une partie
substantielle des Romains ne voudrait jamais d’Anastase pour pape, Lothaire lui
avait retiré son soutien. Anastase avait été déposé, puis ignominieusement
expédié dans un monastère du Transtévère.
    À ce
moment-là, ils ont tous cru que j’étais un homme fini, se dit-il. Mais c’était me sous-estimer.
    Avec patience,
talent et diplomatie, il avait réussi son retour, gagnant enfin la confiance du
pape Nicolas. Celui-ci l’avait nommé bibliothécaire, position de prestige et de
grand pouvoir qu’il détenait depuis plus de trente ans.
    Ayant atteint l’âge
inouï de quatre-vingt-sept ans, Anastase était à présent admiré, vénéré et
universellement loué pour son immense savoir. Des érudits, des hommes d’Église
venus du monde entier affluaient à Rome pour le rencontrer et admirer son
chef-d’œuvre, le Liber pontificalis, chronique officielle de la vie des
papes. Un mois plus tôt encore, l’archevêque franc Arnaldo lui avait demandé la
permission de recopier le manuscrit pour sa cathédrale, faveur à laquelle
Anastase avait gracieusement consenti.
    Le Liber
pontificalis était sa dernière chance d’accéder à l’immortalité en même temps
que son ultime legs au monde terrestre. Il contenait aussi sa vengeance finale
contre le pire de ses rivaux, l’être honni dont l’élection, en une noire
journée de l’an 853, l’avait privé de la gloire à laquelle il semblait promis.
Anastase avait tout simplement éliminé la papesse Jeanne de la liste officielle
des souverains pontifes : le Liber pontificalis ne citait même pas
son nom.
    Ainsi, la gloire
d’Anastase le bibliothécaire se perpétuerait à travers les âges, tandis que la
papesse Jeanne serait perdue, oubliée, rejetée à jamais dans le néant.
    Sa crampe avait
cessé. Il reprit sa plume et recommença à écrire.
     
     
    Dans l’atelier
des copistes du palais épiscopal de Paris, l’archevêque Arnaldo était penché
sur l’ultime page de sa copie du Liber pontificalis. Un puissant rai de
soleil s’engouffrait par l’étroite fenêtre, illuminant une nuée de poussière d’or.
Arnaldo recopia la ligne finale, relut la page de haut en bas, et reposa sa
plume d’un geste las.
    Recopier l’intégralité
du manuscrit du Livre des papes avait représenté un long et difficile
labeur. Les scribes du palais n’avaient pas été peu surpris de voir leur
archevêque s’atteler en personne à cette tâche plutôt que de la confier à l’un
d’entre eux, mais Arnaldo avait d’excellentes raisons d’agir de la sorte. En
effet, il ne s’était pas contenté de reproduire le célèbre manuscrit : il
l’avait aussi corrigé. Entre la chronique du règne du pape Léon et celle qui
concernait le pape Benoît, il avait ajouté un paragraphe consacré à la papesse
Jeanne, rendant ainsi à son pontificat la place qui lui revenait dans l’Histoire.
    Il avait agi par
loyauté personnelle autant que par goût de la vérité. Tout comme Jeanne, l’archevêque
n’était pas ce qu’il paraissait être. Car Arnaldo, né Arnalda, n’était autre
que la fille de l’intendant franc Arn et de sa femme Bona, chez qui Jeanne
avait un temps séjourné après s’être enfuie de Fulda. À cette époque, Arnalda n’était
qu’une fillette, mais elle n’avait jamais oublié Jeanne  – ses yeux doux
et intelligents, le plaisir de leurs leçons quotidiennes, et leur fierté
partagée le jour où Arnalda avait réussi à lire et à écrire ses premiers mots.
    Elle se sentait
liée à Jeanne par une dette immense, car c’était elle qui avait sauvé sa
famille du ténébreux abîme de la pauvreté et de l’ignorance en lui montrant la
voie de la lumière, ce qui avait permis à Arnalda d’accéder un jour à sa haute
position. Inspirée par l’exemple de Jeanne, elle avait elle aussi choisi, à l’approche
de l’âge adulte, de se travestir en homme afin de poursuivre ses rêves.
    Combien
d’autres ont fait le même choix ? se
demanda-t-elle. Ce n’était pas la première fois que cette question l’effleurait.
Combien de femmes avaient osé franchir le pas, abandonnant leur identité
féminine, renonçant à toute vie de famille à seule fin d’obtenir ce qu’elles n’avaient
aucune chance d’atteindre d’une autre façon ? Qui pouvait le dire ?
Elle-même avait peut-être

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