La Papesse Jeanne
jeune
âge, mais dotée d’un cœur et d’une intelligence qui la rendaient attrayante.
Il fit halte tout
près de l’endroit où Jeanne se trouvait assise, aussi immobile qu’un bas-relief
de cathédrale, mit pied à terre et mena son alezan par la bride. Jeanne était
si absorbée dans ses pensées qu’elle ne le remarqua que lorsqu’il fut à moins
de dix pas. Elle se leva en rougissant, sous l’œil amusé du comte. Cette enfant
était incapable de feinte – un trait de caractère qu’il trouvait charmant
et très différent de... ce à quoi il était accoutumé. Son engouement enfantin
pour lui était recon- naissable à une lieue.
— Tu
réfléchissais profondément, dit-il.
— Oui,
répondit-elle en s’approchant pour admirer l’alezan. S’est-il bien comporté ?
— À la
perfection. C’est une excellente monture.
Elle caressa la
flamboyante crinière de l’animal. Elle savait fort bien juger les chevaux,
peut-être parce qu’elle avait grandi loin d’eux. Gerold avait cru comprendre qu’elle
était issue d’une pauvre famille de coloni, bien que son père fût chanoine.
Le cheval lui
renifla l’oreille, et elle partit d’un rire cristallin. Même si Jeanne n’était
pas belle à proprement parler, elle ne manquait pas d’attrait. Ses grands yeux
semblaient deux puits profonds, sa mâchoire était carrée et vigoureuse, et ses
épaules droites lui donnaient l’aspect d’un garçon, impression désormais
rehaussée par ses cheveux courts, dont les boucles d’or pâle couvraient tout
juste le haut de ses oreilles. Après la mauvaise farce dont elle avait été
victime à l’école, il avait fallu les couper au plus court afin de les
débarrasser de la gomme arabique.
— À quoi
pensais-tu, Jeanne ?
— Eh bien,
je... À quelque chose qui s’est passé tantôt à l’école.
— Raconte-moi.
— Est-il
vrai, demanda-t-elle en levant les yeux sur lui, que les petits des louves
blanches viennent au monde mort- nés ?
— Je te
demande pardon ? fit Gerold, très surpris malgré son habitude des
questions insolites de sa pupille.
— Je l’ai
entendu dire à Jean et aux autres élèves. Il se prépare une chasse au loup
blanc – celui de la forêt d’Annapes.
Gerold hocha la
tête.
— Je connais
cette femelle. Une bête fourbe et solitaire, qui chasse à l’écart de toute
meute et ne connaît pas la peur. L’hiver dernier, elle a attaqué un convoi de
voyageurs et s’est emparée d’un nourrisson avant que quiconque ait pu porter la
main à son arc. On raconte ces temps-ci qu’elle est pleine. Je suppose que ces
gens veulent l’abattre avant la naissance de ses rejetons, c’est bien cela ?
— Oui. Jean
et les autres ne tiennent plus en place depuis qu’Ebbo leur a annoncé que son
père avait promis de l’emmener à cette chasse.
— Eh bien ?
— Odo était
furieux. Il a dit qu’il ferait personnellement en sorte que cette battue soit
annulée, car selon lui la louve blanche est un animal sacré, une manifestation
vivante de la résurrection du Christ.
Dubitatif, Gerold
haussa les sourcils.
— D’après
Odo, ses petits naîtront morts. Puis leur père viendra les lécher, pendant
trois jours et trois nuits, et les ramènera ainsi à la vie. C’est un miracle si
rare que personne n’en a jamais été le témoin.
— Qu’as-tu
répondu ? s’enquit Gerold, qui connaissait assez Jeanne pour savoir qu’elle
n’avait pas dû rester muette devant une telle assertion.
— Je lui ai
demandé comment on pouvait savoir tout cela, si personne n’en avait jamais été
le témoin.
— J’imagine
que notre maître d’études n’a guère apprécié ta question ! s’exclama
Gerold en éclatant de rire.
— Il l’a
trouvée inconvenante et aussi irrespectueuse. Car, m’a-t-il dit, on n’a pas
davantage assisté à la Résurrection, et cependant, nul ne doute de sa vérité.
— N’y pense
plus, mon enfant, dit le comte en posant une main sur l’épaule de sa pupille.
Jeanne marqua une
pause, comme pour réfléchir à ce qu’elle allait dire, puis leva sur Gerold un
regard solennel.
— Comment
pouvons-nous être sûrs et certains de la réalité de la Résurrection, si
personne n’y a assisté ?
Gerold était
tellement abasourdi qu’il tira sur la bride de son cheval. Celui-ci fit un écart.
Il lui flatta l’encolure pour l’apaiser.
Comme presque
tous ses pairs de la Frise, seigneurs féodaux parvenus à
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