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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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l’âge d’homme sous le
règne du grand Charles, Gerold, très attaché aux anciennes coutumes, était un
chrétien au sens le plus vague du terme. Il assistait à la messe, faisait l’aumône
et veillait à respecter fêtes et rites. Il suivait les enseignements de l’Église
qui ne l’embarrassaient pas dans la pratique de ses droits et devoirs
seigneuriaux, et ignorait les autres.
    En revanche,
ayant beaucoup vécu, il savait reconnaître le danger.
    — Ne me dis
pas que tu as posé cette question à Odo !
    — Pourquoi
ne l’aurais-je pas fait ?
    — Par le
sang de Dieu !
    Le danger était
peut-être imminent. Il n’avait aucune estime pour Odo, petit clerc aux idées étroites
et à l’esprit plus étroit encore. Mais c’était exactement le genre d’arme que
ce triste sire pouvait utiliser pour embarrasser Fulgence et bouter Jeanne hors
de l’école, ou pire encore.
    — Qu’a-t-il
répondu ?
    — Il n’a pas
répondu, fit-elle en rougissant. Il s’est mis en colère, et m’a... réprimandée.
    Gerold émit une
sorte de sifflement.
    — Qu’espérais-tu
au juste ? Tu es assez âgée pour savoir que certaines questions ne doivent
pas être posées.
    — Et
pourquoi ?
    Les grands yeux
gris-vert de Jeanne le fixèrent avec une intensité redoublée. Des yeux de
païenne, se dit Gerold, qui refuseront toujours de se baisser devant un
homme ou devant Dieu.
    — Pourquoi ?
insista-t-elle.
    — Parce qu’elles
ne doivent pas être posées, voilà tout.
    Gerold était une
nouvelle fois agacé par l’intelligence de cette fille, tellement en avance sur
son âge !
    Une émotion
 – douleur ou colère ? — embrasa brièvement le regard de Jeanne, puis
s’éteignit. Elle redressa le menton.
    — Je dois
rentrer, dit-elle. La tapisserie du vestibule est presque achevée, et votre
épouse m’attend pour y mettre la dernière main.
    Elle se tourna
vers le manoir.
    Gerold la regarda
faire avec un sourire. Tant de dignité offensée chez une si jeune personne !
Il songea à l’absurdité de ce que Jeanne venait de dire : Richild, sa
femme, s’était assez souvent plainte de la gaucherie de sa pupille dès lors qu’il
s’agissait de tenir une aiguille. Lui-même avait maintes fois assisté aux vains
efforts de Jeanne pour forcer ses doigts à lui obéir, sans parler des piètres
résultats de son travail.
    — Ne sois
pas froissée, dit-il avant qu’elle ne s’éloigne. Mais si tu veux réussir en ce
bas monde, tu devras faire preuve de plus de patience.
    Elle lui jeta un
regard de biais, renversa la tête en arrière et partit d’un rire délicieux,
guttural, mélodieux et terriblement contagieux. Gerold resta sous le charme.
Cette fille pouvait bien être têtue comme une vieille mule et prompte à s’emporter,
elle avait aussi le cœur chaud et l’esprit vif.
    — Je n’ai
pas voulu te brusquer, dit-il en la rattrapant pour lui soulever le menton. Tu
me surprends, voilà tout.Tu es d’une grande sagesse en certaines
matières, et d’une immense stupidité en d’autres.
    Jeanne allait
répliquer, mais il posa un doigt en travers de ses lèvres.
    — Je ne connais
pas la réponse à ta question, mon enfant. Tout ce que je sais, c’est que cette
question est dangereuse en soi. D’aucuns n’hésiteraient pas à t’accuser d’hérésie.
Peux-tu le comprendre ?
    Elle opina
gravement.
    — L’hérésie
est une offense envers Dieu, dit-elle.
    — C’est
cela, et davantage encore. Poser une telle question pourrait bien signifier l’anéantissement
de tes espérances, de ton avenir, ou même... de ta vie.
    Il avait lâché le
mot. Les yeux gris-vert le fixaient sans ciller. Désormais, il était trop tard
pour reculer. Il devait tout lui raconter.
    — Il y a
quatre hivers, un groupe de voyageurs a été lapidé à mort non loin d’ici, dans
un pré qui jouxte la cathédrale. Il y avait là deux hommes, une femme et un
garçon qui n’était pas plus âgé que toi.
    Bien qu’il fut un
soldat aguerri, un vétéran des campagnes menées par l’empereur contre les
barbares obodrites, le sang lui afflua au visage au souvenir de ce qui s’était
passé ce jour-là. La mort, aussi atroce fût-elle, n’avait plus de secret pour
lui. Et pourtant, il avait reculé devant un tel massacre. Les hommes étaient
désarmés, quant aux deux autres... Ils avaient mis bien du temps à mourir. La
femme et le garçon avaient eu l’agonie la plus longue, car leurs

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