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La parade des ombres

La parade des ombres

Titel: La parade des ombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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restait son fils, désormais. Seulement son fils.
    Elle redressa le menton, s’emporta contre sa réaction imbécile qui l’avait fait le repousser et, refusant d’être ivre comme elle avait refusé de pleurer, se força à avancer droit, à ouvrir la porte, à descendre l’escalier et à gagner le port en inspirant à pleins poumons.
    Elle avait bien l’intention de continuer avec Junior à écumer les eaux des Caraïbes, jusqu’à ce qu’un coup de sabre règle une fois pour toutes le long chapitre de sa destinée. Lady pirate ne baisserait plus pavillon. Jamais.
     
    *
     
    Ann déjoua la surveillance appliquée de Nani, sa gouvernante, et courut jusqu’au giroflier qui dominait la propriété de ses hautes branches, persuadée que de sa cime elle apercevrait l’océan au-delà de la ville. Elle y monta avec une agilité qui l’étonna. Elle l’atteindrait coûte que coûte puisque son père refusait de répondre à ses questions. Les mêmes avec lesquelles elle avait ennuyé sa défunte mère. Elle voulait savoir, comprendre pourquoi ce rêve la hantait, pourquoi l’océan l’attirait autant, pourquoi elle avait eu besoin de s’emparer de ce pendentif d’émeraude et de le porter comme s’il était la chose la plus précieuse qui soit. Cormac n’avait rien voulu entendre, se contentant d’affirmer qu’il fallait faire abstraction de ses tourments passés pour vivre dans le présent.
    Emma de Mortefontaine le lui avait dit aussi. Ann, pourtant, ne parvenait à s’en convaincre, comme si une part d’elle-même avait la certitude d’un mensonge dans sa mémoire en fuite. Un mensonge qui, depuis la mort de sa mère, la tenait instinctivement en retrait de cette femme si généreuse et si charmante qu’était Emma.
    Celle-ci lui rendait visite chaque jour, et Ann avait le sentiment qu’elle espérait quelque chose. Elle ignorait quoi.
    — Je vous aime d’une tendre affection, lui avait-elle affirmé. Je ne pourrai, certes, remplacer votre mère, mais reposez-vous sur moi comme vous vous reposiez sur elle. Vous me combleriez, Ann.
    Ann l’en avait remerciée, mais elle demeurait sur la défensive, sans raison. Elle avait bien besoin d’une épaule pour noyer son chagrin.
    Sa mère lui manquait infiniment. D’autant plus que William Cormac se détournait d’elle. Elle ne lui en voulait pas, mettant cela sur le compte de leur malheur bien que cela eût empiré ces derniers mois. Elle ne laissait rien paraître de sa tristesse, mais ne perdait pas une occasion de le provoquer pour lui rappeler son existence, continuant à s’habiller en garçon pour déjouer la vigilance de Nani et des esclaves.
    Elle ne supportait pas que leurs mains noires la touchent. C’étaient elles qui s’étaient activées autour de sa défunte mère. Elle les avait progressivement imaginées responsables de sa disparition, d’autant qu’elle pressentait un mystère autour de celle-ci. Père savait son aversion, et Ann était persuadée qu’il prenait plaisir à les laisser décider des punitions qu’il lui infligeait pour insubordination.
    Ann entendit hurler en bas du giroflier. On l’avait aperçue. Elle n’était pas encore à mi-hauteur. Elle se cramponna aux branches, déchirant sa jupe et s’écorchant bras et jambes pour aller plus vite et plus haut. William Cormac ne tarderait pas à s’ajouter à ces gens qui gesticulaient. Nani hurla :
    — Descends, Ann, je t’en prie, descends !
    — Viens me chercher, ricana-t-elle.
    L’idée de tomber ne l’effraya pas. Elle n’avait pas le vertige et étonnamment ses pieds et ses mains trouvaient leurs prises sans hésitation. Il lui suffit de s’imaginer sur un navire, grimpant aux mâtures comme elle l’avait vu faire, pour se rengorger de sa victoire.
    — Je t’ordonne de descendre ! beugla son père.
    — Et moi de me laisser, lui répondit-elle en lui tirant la langue, obstinée.
    Cette fois, au moins, la punition qu’elle recevrait serait justifiée ! Elle comprit pourtant qu’elle n’irait pas au-delà. Elle s’immobilisa, prête à capituler.
    Son père venait d’envoyer un des serviteurs pour la ramener. Le mulâtre commençait à grimper.
    Tout en elle se glaça. Elle ne le laisserait pas la toucher. Elle attendit qu’il parvienne à sa hauteur pour lui décocher un coup de pied dans le visage. Surpris, l’esclave lâcha prise, glissa, déséquilibré, puis rebondit sur une branche, en fracassa d’autres avant de

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