La parade des ombres
d’abattre le prisonnier à la moindre altercation qui éclaterait dans le temps du convoyage.
Mary avait disposé ses hommes. Junior patientait à l’angle d’une bâtisse, juché sur un cheval, un second tenu par la bride.
Les pirates, lavés et rasés de frais, se mêlaient aux villageois qui tendaient le cou vers la rue principale. Le soleil n’était pas encore au zénith qu’on étouffait déjà.
Mary se glissa au premier rang, devant le gibet, pour englober d’un regard circulaire les positions de ses pirates. Tous se tenaient prêts. Son estomac se serra. Elle n’avait rien pu empêcher pour Niklaus ou Baletti, elle ne laisserait pas Corneille se balancer au bout d’une corde.
— Les voilà ! hurla une femme sur sa droite.
Les battements de son cœur redoublèrent.
Corneille se tenait debout, son unique main liée à sa cuisse, digne au milieu de ses geôliers, gardant l’équilibre sur la charrette branlante comme sur le pont d’un navire.
— Il a une belle gueule, entendit Mary sur sa droite.
— Dommage qu’il faille le pendre, se lamenta une autre.
— Allons donc, ricana un gaillard, c’est pas sa gueule que t’es venue voir, friponne, mais sa corne de pendu.
Un rire gras roula sur les badauds comme une déferlante. Mary en eut la nausée.
Elle voulait que Corneille la voie, la sente présente. Elle voulait qu’il devine le signal autant qu’il l’entendrait.
La charrette s’immobilisa sous les huées. Corneille en descendit avec une telle dignité qu’elles se transformèrent en murmure d’admiration. Il monta sur l’estrade et refusa la cagoule dont le bourreau voulut l’affubler. Son regard accrocha celui de Mary. Il se garda de lui sourire mais fit glisser le tranchant de la lame sur ses liens comme le bourreau s’appliquait à lui passer au cou le nœud coulant. Sur la défensive, les gardes, fusil sur le bras, encadraient les abords que, pour mieux voir, les citadins ne se privaient pas d’envahir.
Mary fixa Corneille et siffla. Une seule fois. D’une manière stridente qui fit sursauter l’enfant se tenant à ses côtés.
Dans la foule, une algarade éclata, qui força l’attention des gardes. Deux pourtant, prudents, se rapprochèrent du condamné. Ils furent fauchés par des tirs bien ajustés.
Le bourreau s’était écarté pour remplir son office et ouvrir la trappe.
Corneille s’était libéré. Empoignant la corde, il la desserra de son cou au moment où le bourreau poussait son levier, et sauta dans le vide. Mary ne s’attarda pas davantage, s’engouffrant dans un passage que ses hommes lui ouvraient.
Sa monture l’attendait à l’angle discret d’une ruelle. Elle savait déjà que, juchés sur leurs chevaux, Corneille et Junior étaient loin, profitant de la panique que les coups de feu avaient provoquée.
Un deuxième sifflement dispersa ses pirates. Elle se retourna une dernière fois avant d’enfourcher son cheval. La panique avait remplacé le spectacle. De toute part on s’enfuyait.
Parés à lever l’ancre, les deux navires attendaient au port. La frégate de Barks serait loin avant que les corsaires de Sa Majesté n’aient appareillé pour la pourchasser. Celle de Duncan récupérerait les hommes qui s’étaient fondus dans la foule, puis lèverait l’ancre à son tour, le lendemain. Le cœur léger, elle talonna sa monture en direction du port. Tout s’était passé comme elle le souhaitait.
Elle rejoignit les fuyards comme ils parvenaient sur la jetée et comprit aussitôt que rien ne serait de ce qu’elle avait imaginé. Corneille était avachi sur le cou de l’animal et Junior tenait les rênes de celui-ci pour le guider. Elle parvint à leur hauteur comme ils s’immobilisaient et hurla de voir Corneille s’écrouler à ses pieds.
La balle lui avait perforé la poitrine. Il était mourant. Ils le chargèrent pourtant dans le canot qui devait les amener sur le navire. Les matelots souquaient ferme pour s’éloigner du rivage au plus vite. Le silence les avait cueillis comme un dernier hommage. Junior était livide et soutenait le visage de Corneille qui, peu à peu, blanchissait. Mary se pencha sur lui, voyant qu’il voulait parler.
— Je t’aime, souffla-t-il.
— Moi aussi, je t’aime, gémit-elle dans un sourire désespéré.
Corneille lui offrit le sien.
— Il fallait donc que je meure pour que tu l’avoues ?
— Ce qui est évident ne me vient jamais à l’idée, mur-mura-t-elle dans
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