La parade des ombres
moque. Peu m’importe ton âge ou ton sexe, Mary Read, c’est de tes caresses que je veux me rassasier.
Le souffle de Mary se glaça. Elle n’eut pas le temps de se reprendre qu’une main violente la tirait en arrière.
— Morbleu ! C’est toi, Read ? hurla Rackham.
Mary étouffa un soupir soulagé, malgré son inconfortable posture.
— Ce n’est pas ce que tu crois, se défendit-elle.
— Si, c’est ce que tu crois, démentit Ann en se dressant devant lui. J’ai envie d’elle, comme tu as envie des catins que tu culbutes derrière mon dos. Et je n’ai pas l’intention d’en être privée.
Mary sentit une sueur froide lui battre les tempes.
— Non, Ann, gémit-elle. Tu ne peux pas avoir envie de moi. Tu ne peux pas.
— Et pourquoi donc ? grogna Rackham en l’attirant à lui, lui attrapant les poignets. Et si cette idée me plaisait finalement, à moi ?
Désemparée, Mary ne trouva pas la force de lutter. La bouche de Rackham prit la sienne avec avidité. Cette contrainte la força à réagir. Pour se sortir de ce cauchemar. Du regard d’Ann qui brillait tandis que le sien s’emplissait de larmes.
Elle releva son genou entre les jambes de Rackham et frappa violemment. Il la lâcha en jurant.
Mary recula. Elle était bouleversée par ce désir qu’elle lisait dans les yeux de sa fille.
— Reste, Mary, gémit Ann tandis que Rackham se tordait. Il nous laissera nous aimer.
— Tu ne comprends pas. Je ne peux pas t’aimer, pas comme ça.
— Et pourquoi donc ? grinça Ann, frustrée de la voir ainsi défaite et outragée.
— Je suis ta mère, lâcha Mary.
Le rire d’Ann faucha ses illusions. Tandis qu’elle s’enfuyait, elle entendit celle-ci cracher, rancunière :
— Il te faudra inventer autre chose si tu veux te faire pardonner !
Mary resta un long moment face à l’océan et à cette lune immense qui semblait rire de sa détresse. Elle n’avait rien vu venir. Rien compris des jeux d’Ann. Toute à sa tendresse de mère, elle n’avait pas seulement imaginé que sa fille puisse être attirée par elle d’une autre manière.
Tout, pourtant, dans ses regards, ses attitudes, aurait dû le lui dire. Mais elle était trop heureuse de ce rapprochement pour l’analyser. Elle avait tout gâché. Ann ne l’avait pas crue. Et pour cause ! Comment l’aurait-elle pu dans de pareilles circonstances, sans souvenirs de son passé ? Comment ne pouvait-elle pas la haïr plus encore de l’avoir repoussée ?
Mary découvrait avec effarement que sa fille était encore plus chamelle, violente et passionnée qu’elle ne l’était. Elle retrouvait en elle les élans belliqueux de son père. Mary l’avait sous-estimée. Ann n’avait pas besoin d’une mère, mais d’une amie, d’une amie tendre. Comment lui faire comprendre à présent qu’elle recherchait auprès d’elle ce qu’on lui avait arraché ? Que cette attirance physique était un leurre ? L’envie lui prit de renoncer. Baletti voulait déserter le bord de Rackham pour regagner Cuba, dont le littoral se dessinait à l’horizon. Rejoindre Hans, récupérer le crâne de cristal, tuer Emma.
Mary pouvait fort bien le suivre, oublier Ann. Elle eut envie de hurler. Elle ne le pouvait pas, pas de cette manière, pas après ce qui s’était passé. Elle ne voulait pas briser ce lien fragile. Et que dire à Junior lorsqu’elle retournerait à la Tortue ?
Elle eut un rictus amer. Elle allait devoir se taire et se mettre en retrait, affronter le courroux jumelé d’Ann et de Rackham. Rester digne. Redevenir Mary Read, en priant pour qu’un jour Ann ressente le besoin de chercher la vérité. Mary se leva et traîna son pas jusqu’à l’auberge où Baletti était sûrement attablé, ravalant son désarroi derrière le rempart de sa fierté.
Lorsqu’ils furent seuls dans la petite chambre qu’ils avaient louée à l’auberge, elle s’effondra en sanglots entre ses bras, du mal que le regard d’Ann lui avait fait.
*
— Où est le marquis ? grinça Rackham alors qu’ils levaient l’ancre une semaine plus tard.
Mary avait signalé à Corner que Baletti avait quitté le bord.
— Je l’ignore, répondit-elle froidement.
— J’espère pour toi qu’il n’a pas l’intention de nous vendre !
— Je suis prête à en répondre, affirma Mary en soutenant le regard rancunier de Rackham.
Ils ne s’étaient pas reparlé depuis l’incident. Ann la boudait, lui tournant
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