La parfaite Lumiere
avoua :
— Nous nous querellons
toujours en des moments pareils : chacun se dépêche de s’occuper d’abord
de ses propres difficultés. Mais aujourd’hui, nous avons suivi votre conseil et
travaillé ensemble.
Ils apportèrent aussi des présents
de nourriture : sucreries, marinades et, à la grande joie d’Iori, gâteaux
de riz. Toutes réflexions faites, Iori conclut que ce jour-là il avait appris
une leçon : si l’on s’oubliait soi-même et si l’on travaillait pour la
communauté, la nourriture affluait tout naturellement.
— Nous vous bâtirons une
nouvelle maison, promit un fermier. Une maison que le typhon ne démolira pas.
Pour l’heure, il les invita à
loger dans la sienne, la plus vieille du village. Lorsqu’ils y arrivèrent,
l’épouse de cet homme suspendit leurs vêtements pour les faire sécher, et quand
ils furent prêts à se coucher on leur donna des chambres séparées. Avant de
s’endormir. Iori prit conscience d’un son qui excita son intérêt, Se retournant
vers la chambre de Musashi, il chuchota à travers le shoji :
— Vous entendez,
monsieur ?
— Hein ?
— Ecoutez : les tambours
des danses du sanctuaire. Bizarre, vous ne trouvez pas, d’exécuter des danses
religieuses un soir de typhon ?
Seule une respiration profonde lui
répondit. Le lendemain matin, Iori se leva de bonne heure et interrogea le
fermier au sujet des tambours. Revenu à la chambre de Musashi, il dit d’un air
fin :
— Le sanctuaire de Mitsumine,
à Chichibu, n’est pas très loin d’ici, n’est-ce pas ?
— Il me semble.
— Je voudrais que vous m’y
emmeniez. Faire mes dévotions.
Intrigué, Musashi demanda le
pourquoi de cet intérêt soudain ; on lui répondit que les joueurs de
tambour étaient des musiciens d’un village voisin qui s’exerçaient pour la
danse sacrée Asagaya dont leur famille était spécialiste depuis un lointain
passé. Tous les mois, ils allaient jouer à la fête du sanctuaire de Mitsumine.
Les beautés de la musique et de la
danse n’étaient connues d’Iori qu’à travers ces danses Shinto. Il éprouvait
pour elles une extraordinaire passion ; ayant appris que les danses de
Mitsumine constituaient l’un des trois grands types de cette tradition, il
tenait fort à les voir.
— Vous ne voulez pas m’y
emmener ? suppliait-il. Il faudra cinq ou six jours au moins avant que
notre maison soit prête.
L’insistance d’Iori rappelait à
Musashi Jōtarō, qui se rendait souvent odieux – pleurnichant,
boudant, ronronnant – pour obtenir ce qu’il voulait. Iori, si mûr et
indépendant pour son âge, recourait rarement à de pareilles tactiques. Musashi
n’y songeait pas particulièrement, mais un observateur eût distingué les traces
de son influence. Une chose qu’il avait délibérément enseignée à Iori, c’était
de pratiquer une stricte distinction entre lui-même et son maître. D’abord, il
répondit de manière évasive, mais après y avoir un peu réfléchi, il dit :
— Bon je t’emmène.
Iori bondit en l’air en
s’exclamant :
— Et il fait beau, par-dessus
le marché !
En moins de cinq minutes, il avait
fait part de sa chance à leur hôte, demandé des déjeuners à emporter, et
s’était procuré des sandales de paille neuves. De retour devant son maître, il
lui demanda :
— ... Nous partons ?
Le fermier assista à leur départ
en promettant que leur maison serait achevée au moment de leur retour.
Ils passèrent devant des endroits
où le typhon avait laissé dans son sillage des mares, presque des petits
lacs ; mais autrement, on avait peine à croire que les cieux avaient
déchaîné leur furie deux jours seulement plus tôt. Des pies volaient bas dans
le ciel bleu clair.
Le premier soir, ils choisirent
une auberge bon marché dans le village de Tanashi, et se couchèrent tôt. Le
lendemain, leur route les mena plus avant dans la grande plaine de Musashino.
Leur voyage fut interrompu
plusieurs heures à la rivière Iruma, dont le volume avait triplé. Seul restait
debout un court fragment du pont de terre, inutile au milieu du courant. Tandis
que Musashi regardait un groupe de fermiers apporter de nouvelles piles des
deux côtés pour permettre un passage temporaire, Iori remarquait de vieilles
pointes de flèches, les signalait et ajoutait :
— ... Il y a aussi des
sommets de casques. Il doit y avoir eu une bataille ici.
Il s’amusa le long de la berge à
déterrer
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