La parfaite Lumiere
des pointes de flèches, des morceaux rouillés de sabres brisés et
divers bouts de vieux métal inidentifiable. Soudain, il écarta vivement la main
de quelque chose de blanc qu’il allait ramasser.
— C’est un os humain !
s’exclama-t-il.
— Apporte-le ici, dit
Musashi.
Iori n’avait pas le courage d’y
toucher à nouveau.
— Qu’est-ce que vous en
ferez ?
— Enterre-le à un endroit où
l’on ne marche pas dessus.
— Il n’y en a pas seulement
un ou deux. Il y en a des quantités.
— Bon. Ça nous occupera.
Apporte tous ceux que tu pourras trouver.
Tournant le dos à la rivière, il
ajouta :
— ... Tu peux les enterrer
là-bas, à l’endroit où ces gentianes fleurissent.
— Je n’ai pas de pelle.
— Sers-toi d’un sabre cassé.
Quand le trou fut assez profond,
Iori y mit les ossements puis rassembla sa collection de pointes de flèches et
de bouts de métal, qu’il enfouit avec les os.
— Ça va ? demanda-t-il.
— Mets des pierres
par-dessus. Fais-en un véritable monument.
— Quand donc y a-t-il eu une
bataille ici ?
— Tu as oublié ? Tu dois
avoir fait une lecture là-dessus. Le Taiheiki parle de deux combats
furieux, en 1333 et 1352, dans un endroit nommé Kotesashigahara. C’est à peu
près l’endroit où nous sommes. D’un côté il y avait la famille Nitta qui soutenait
la Cour du Sud, et de l’autre une énorme armée commandée par Ashikaga Takauji.
— Ah ! les batailles de
Kotesashigahara... Maintenant, je me souviens.
Pressé par Musashi, Iori
poursuivit :
— Le livre nous dit que le
prince Munenaga vécut longtemps dans la région de l’Est et étudia la Voie du
samouraï, mais fut stupéfait lorsque l’empereur le nomma shōgun.
— Quel était le poème qu’il
composa à cette occasion ? demanda Musashi.
Iori leva les yeux vers un oiseau
qui s’élevait dans le ciel azuré, et récita :
« Comment
aurais-je pu savoir
Que
je serais jamais le maître de
L’arc
de catalpa ?
N’avais-je
point traversé la vie
Sans
le toucher ? »
— Et le poème au chapitre qui
raconte comment il passa dans la province de Musashi et combattit à
Kotesashigahara ?
Le jeune garçon hésita, se mordit
la lèvre et commença dans une formulation qui était pour une large part de son
cru :
« Pourquoi,
alors, devrais-je m’accrocher
A
une vie qui est accomplie
Quand
elle est noblement donnée
Pour
l’amour de notre grand seigneur,
Pour
l’amour du peuple ? »
— Et la signification ?
— Je comprends ça.
— En es-tu bien sûr ?
— Quiconque est incapable de
comprendre sans se le faire expliquer n’est pas un véritable Japonais, même
s’il s’agit d’un samouraï. Je me trompe ?
— Non. Mais dis-moi, Iori,
dans ce cas pourquoi te conduis-tu comme si le maniement de ces os te salissait
les mains ?
— Vous aimeriez manier les os
des morts ?
— Les hommes qui sont morts
ici étaient des soldats. Ils s’étaient battus et avaient péri pour les
sentiments exprimés dans le poème du prince Munenaga. Les samouraïs de ce type
sont innombrables ; leurs ossements, enfouis dans la terre, constituent
les fondements sur quoi notre pays est édifié. Sans eux, nous n’aurions encore
ni paix ni perspective de prospérité... Les guerres, comme le typhon que nous
avons essuyé, passent. Dans son ensemble, la terre est inchangée, mais nous ne
devons jamais oublier notre dette envers les ossements blanchis qui sont sous
la surface du sol.
Presque à chaque mot, Iori approuvait
de la tête.
— Maintenant, je comprends.
Dois-je faire une offrande de fleurs et m’incliner devant les os que j’ai
enterrés ?
Musashi se mit à rire.
— T’incliner n’est pas
vraiment nécessaire si tu gardes le souvenir vivant dans ton cœur.
— Pourtant...
Pas tout à fait satisfait, le
garçon cueillit des fleurs et les disposa devant les pierres entassées. Il
était sur le point de joindre les mains en signe de respect lorsqu’il lui vint
une autre idée inquiétante :
— ... Monsieur, tout cela est
bel et bon si ces os appartenaient vraiment à des samouraïs loyaux envers
l’empereur. Mais s’ils sont les restes des hommes d’Ashikaga Takauji ?...
Je ne voudrais pas leur rendre hommage.
Iori le dévisageait dans l’attente
de sa réponse. Musashi fixa les yeux sur le fin croissant de lune diurne. Mais
aucune réponse satisfaisante ne lui vint à l’esprit. Il finit
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