La parfaite Lumiere
mari.
— Oh ! oui, il dort
encore.
Avec un claquement de langue
désapprobateur, Okō grommela :
— C’est fête, et il dort.
C’est la seule boutique qui ne soit pas pleine de clients.
Près de la porte, un homme et une
vieille femme faisaient cuire à la vapeur du riz et des fèves dans un four en
terre. Les flammes apportaient la seule note joyeuse à cet intérieur autrement
sinistre. Okō se rendit à un banc près du mur où dormait un homme, lui
frappa sur l’épaule et dit :
— ... Debout, toi !
Ouvre les yeux, pour changer.
— Hein ? grogna-t-il en
se redressant un peu.
— Mon Dieu !
s’exclama-t-elle en reculant, puis elle éclata de rire et dit : Pardon. Je
vous prenais pour mon mari.
Un morceau de natte avait glissé à
terre. L’homme, un adolescent à face ronde aux grands yeux interrogateurs, le
ramassa, le ramena sur son visage et s’étendit à nouveau. Sa tête reposait sur
un oreiller de bois, et ses sandales étaient maculées de boue. Sur la table, à
côté de lui, un plateau et un bol à riz vide ; contre le mur, un sac de
voyage, un chapeau de vannerie et un bâton. Se retournant vers la fille, Okō
lui dit :
— ... Je suppose qu’il s’agit
d’un client ?
— Oui. Il a dit qu’il avait
l’intention de monter au sanctuaire intérieur demain matin de bonne heure, et a
demandé s’il pouvait se reposer ici.
— Où donc est Tōji ?
— Par ici, idiote.
La voix provenait de derrière un
shoji déchiré. Couché dans la pièce voisine, un pied dépassant dans la
boutique, il reprit d’un ton maussade :
— ... Et pourquoi tant
d’histoires quand je fais un petit somme ? Où étais-tu pendant tout ce
temps, au lieu de travailler ?
A maints égards, les années
avaient été encore moins clémentes pour Okō que pour Tōji. Non
seulement les charmes de ses jeunes années s’étaient évanouis, mais tenir la
maison de thé Oinu exigeait d’elle un travail d’homme en compensation d’un
conjoint amorphe : Tōji gagnait sa vie en chassant l’hiver, mais ne
faisait pas grand-chose d’autre. Après que Musashi avait incendié leur repaire
avec sa chambre truquée au col de Wada, leurs complices les avaient tous
abandonnés.
Les yeux rouges et chassieux de Tōji
accommodèrent progressivement sur un baril d’eau. Il se leva pesamment, s’y
rendit et en engloutit une pleine louchée. Okō le considérait par-dessus
son épaule.
— Ça m’est égal, que ce soit
fête. Il est temps de t’arrêter. Tu as eu de la chance de ne pas recevoir un
bon coup de sabre pendant que tu étais sorti.
— Hein ?
— Je te dis que tu ferais
mieux d’être plus prudent.
— Je ne sais pas ce que tu
racontes.
— Tu savais que Musashi est
ici, à la fête ?
— Musashi ? Miyamoto...
Musashi ?
Réveillé en sursaut, il
demanda :
— ... Tu parles
sérieusement ? Ecoute : tu ferais mieux d’aller te cacher au fond de
la maison.
— Tu ne penses donc qu’à
ça : te cacher ?
— Je ne veux pas que ce qui
s’est passé au col de Wada se reproduise.
— Lâche ! Tu ne brûles
donc pas de te venger de lui, non seulement pour ça mais pour ce qu’il a fait à
l’école Yoshioka ? Moi si, et je ne suis qu’une femme.
— Ouais, mais n’oublie pas
qu’alors, nous avions des tas d’hommes pour nous aider. Maintenant, nous ne
sommes plus que tous les deux.
Tōji n’était pas à Ichijōji
mais il avait appris comment s’était battu Musashi, et ne conservait aucune
illusion sur celui qui mourrait si tous deux se rencontraient de nouveau.
S’approchant de son mari, Okō déclara :
— Voilà où tu te trompes. Il
y a ici un autre homme, non ? Un homme qui hait Musashi autant que toi.
Tōji savait qu’elle voulait
parler de Baiken dont ils avaient fait la connaissance lorsque leurs
pérégrinations les avaient amenés à Mitsumine.
Comme il n’y avait plus de
batailles, l’état de pillard ne rapportait plus ; aussi Baiken avait-il
ouvert une forge à Iga, dont il avait été chassé quand le seigneur Tōdō
avait resserré son emprise sur la province. Dans l’intention de chercher
fortune à Edo, il avait dispersé sa bande ; mais alors, par l’entremise
d’un ami, il était devenu gardien du trésor du temple.
Même maintenant, des bandits
infestaient les montagnes, entre les provinces de Musashi et de Kai. En
engageant Baiken pour garder la maison qui renfermait les trésors religieux et
l’argent des
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