La parfaite Lumiere
Gonnosuke, ni Iori ne se lassaient de la
route. Iori tira Gonnosuke par la manche et dit d’un air inquiet :
— Ce bonhomme nous suit
toujours.
Gardant les yeux droit devant lui,
Gonnosuke répondit :
— Fais semblant de ne pas le
voir.
— Il est derrière nous depuis
que nous avons quitté le Kōfukuji.
— Hum...
— Et il était à l’auberge où
nous sommes descendus, non ?
— Ne te tracasse pas. Nous
n’avons rien qui mérite d’être volé.
— Nous avons nos vies !
Ça n’est pas rien.
— Ha ! ha ! Je
garde ma vie sous clé. Pas toi ?
— Je saurai me défendre, dit
Iori en serrant son fourreau de la main gauche.
Gonnosuke savait que l’homme était
le prêtre montagnard qui avait défié Nankōbō la veille, mais il
n’avait aucune idée de la raison qui le poussait à les suivre. Iori se retourna
de nouveau, et dit :
— ... Il n’est plus là.
Gonnosuke se retourna, lui
aussi :
— Il se sera lassé.
Il prit une inspiration profonde
et ajouta :
— ... Mais je me sens mieux.
Ils passèrent la nuit dans une
ferme, et le lendemain matin de bonne heure atteignirent Amano, dans la
province de Kawachi. C’était un petit village aux maisons à auvents bas,
derrière lequel courait un ruisseau de montagne. Gonnosuke était venu faire
poser la plaque funéraire de sa mère au Kongōji, surnommé le mont Kōya
des femmes. Mais d’abord il voulait aller voir une femme appelée Oan, qu’il
connaissait depuis l’enfance, afin qu’il y eût quelqu’un pour brûler de
l’encens devant la plaque, de temps à autre. S’il ne la trouvait pas, il avait
l’intention de pousser jusqu’au mont Kōya, le cimetière des riches et des
puissants. Il espérait ne pas avoir à s’y rendre ; y aller lui eût donné
l’impression d’être un mendiant.
Il s’informa auprès de la femme
d’un boutiquier qui lui répondit qu’Oan était l’épouse d’un brasseur appelé Tōroku,
et que leur maison était la quatrième à droite, passée l’entrée du temple.
En franchissant le portail,
Gonnosuke se demanda si la femme savait de quoi elle parlait : un écriteau
déclarait qu’il était interdit d’introduire du saké dans l’enceinte sacrée. Comment
pouvait-il y avoir une brasserie à cet endroit ?
Ce petit mystère fut éclairci le soir
même par Tōroku, qui leur avait souhaité la bienvenue et avait accepté
volontiers de parler à l’abbé de la plaque funéraire. Tōroku raconta que
Toyotomi Hideyoshi avait une fois goûté le saké préparé à l’usage du temple, et
exprimé son admiration. Les prêtres avaient alors fondé la brasserie pour
fabriquer du saké destiné à Hideyoshi et aux autres daimyōs qui
contribuaient à l’entretien du temple. Après la mort de Hideyoshi, la
production avait un peu baissé mais le temple approvisionnait toujours un certain
nombre de bienfaiteurs particuliers.
Le lendemain matin, quand
Gonnosuke et Iori se réveillèrent, Tōroku était déjà parti. Il revint un
peu après midi, et dit que des dispositions avaient été prises.
Le Kongōji se trouvait situé
dans la vallée de la rivière Amano, parmi des pics de la couleur du jade.
Gonnosuke, Iori et Tōroku s’arrêtèrent une minute sur le pont menant au
portail principal. Des fleurs de cerisier flottaient sur l’eau, sous le pont.
Gonnosuke redressa les épaules, et prit une expression respectueuse. Iori
arrangea son col.
En s’approchant de la grande
salle, ils furent accueillis par l’abbé, un homme de haute taille, assez
corpulent, qui portait la robe d’un prêtre ordinaire. Un chapeau de vannerie
usée, un long bâton n’eussent pas surpris.
— Est-ce l’homme qui veut
faire organiser une cérémonie funèbre pour sa mère ? demanda-t-il d’un ton
cordial.
— Oui, monsieur, répondit Tōroku
en se prosternant.
Gonnosuke, qui s’était attendu à
un ecclésiastique au visage sévère, en brocart d’or, fut un peu confus de cet
accueil. Il s’inclina et regarda l’abbé descendre du portique, glisser ses
grands pieds dans des sandales de paille sale, et s’arrêter devant lui. Son
chapelet à la main, l’abbé leur dit de le suivre, et un jeune prêtre leur
emboîta le pas.
Ils passèrent devant la salle de
Yakushi, le réfectoire, la pagode d’un étage au trésor et le logis des prêtres.
Lorsqu’ils arrivèrent à la salle de Dainichi, le jeune prêtre s’avança et parla
à l’abbé. Ce dernier acquiesça d’un signe
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