La Part De L'Autre
salaires
gelés, et la police placée dans les usines pour menacer
les éventuels mécontents d'un transfert dans un camp de
travail. Elser avait refusé la direction que les nazis
faisaient prendre au pays, il savait, depuis les accords de Munich,
que plus rien ne freinerait leur ardeur belliqueuse, que la terreur
régnerait jusqu'à l'apocalypse et il avait donc décidé
avec ses petits moyens de sauver l'Allemagne.
Menuisier
dans le Wurtemberg, il s'était rendu à Munich, sachant
qu'Hitler, chaque année, entouré des huiles du régime,
prononçait un discours commémorant le putsch du 8
novembre 1923 et ses victimes. La cérémonie avait
traditionnellement lieu à la brasserie Bürgerbräu.
Il avait décidé de placer une bombe à
retardement dans une colonne de bois située derrière la
tribune.
Il
s'était fait engager dans une usine d'armements pour y voler
des explosifs puis dans une carrière pour dérober de la
dynamite. Avec ses rudiments de technique horlogère, il avait
construit lui-même le mécanisme de son engin et en avait
testé des prototypes au fond du jardin parental. Puis, il
s'était caché trente fois de nuit à la brasserie
afin de creuser une cavité dans la colonne. Le 7 novembre, la
veille du discours, il était venu placer sa bombe à
retardement, l'avait réglée sur vingt et une heures
vingt et avait pris le chemin de la Suisse.
Hitler
parlait généralement de vingt heures trente jusqu'à
vingt-deux heures. Mais ce soir-là, préoccupé
par la guerre à l'est comme à l'ouest, il n'était
pas d'humeur commémorative et avait cessé de parler à
vingt et une heures pour reprendre le train en direction de Berlin.
A
vingt et une heures vingt, la bombe avait explosé, faisant
huit morts et soixante blessés, des fanatiques restés
pour boire et vitupérer ensemble, mais elle avait manqué
Hitler et les autres poids lourds du nazisme.
Arrêté
au poste de douanes près de Constance pour avoir essayé
de franchir illégalement la frontière, Georg Elser
s'était fait fouiller et avait rapidement avoué son
attentat.
Il
était petit, les yeux clairs, les cheveux bruns et ondulés,
une moustache taillée, un homme tranquille, réservé,
perfectionniste dans son travail, qui justifiait son acte par la
morale. Un fils du peuple comme Hitler. Un Allemand qui pensait
d'abord à l'Allemagne comme Hitler. Un aryen comme Hitler.
Le
Führer refusa l'évidence. La Gestapo reçut l'ordre
de chercher des connexions avec les Anglais, les Français, les
Russes, puis des connivences avec les généraux ou
l'aristocratie. Rien n'y fit. Elser avait agi seul. En conscience. On
n'ébruita rien et l'on s'en tint à la version
officielle, élaborée dès le soir de l'événement,
les services secrets britanniques demeurèrent les auteurs de
cet immonde attentat.
Curieusement,
Hitler exclut qu'on exécutât Georg Elser. Il se contenta
de le faire emprisonner. En fait, il rêvait de rencontrer son
assassin. De passer un après-midi avec lui. Pour l'heure, à
cause des fronts de l'Est
et de l'Ouest, il n'avait pas le temps mais il e réservait ce
plaisir pour plus tard. Oui, il le garderait en vie, envers et contre
tout, malgré les conseils de ses proches.
Oui, il attendrait la fin de la guerre. En réalité, il
aspirait à convaincre son assassin qu'il avait eu tort. Il
projetait même de s'en faire aimer. Après tout,
cet Elser, c'était l'Allemagne, l'Allemagne inquiète,
l'Allemagne pas prête, l'Allemagne qui ne comprenait pas. Il le
convaincrait avec l'Allemagne. Et on ne tue pas l'Allemagne.
La
douleur passée, Hitler sortit consolidé de cet
attentat. Une fois de plus, la Providence l'avait épargné.
Par ce soutien spécial qu'elle lui accordait encore et encore,
elle lui signifiait qu'il avait raison et qu'il devait aller jusqu'au
bout de sa mission. Ce que lui confirma dès le lendemain son
astrologue ; les dispositions planétaires lui faisaient une
armure d'invincibilité pour les quatre ans à venir ;
aucune balle, aucune bombe, aucun obus ne pourrait jamais l'atteindre
; il jouissait d'une protection astrale. Par prudence, il demanda
néanmoins à Göring de faire doubler sa garde et
annonça à Goebbels qu'il renonçait à tout
bain de foule et à tout grand discours en public.
Elser
lui avait sauvé la vie...
Une
guerre éclaire. Une victoire.
Il
avait retrouvé Heinrich sur le quai de la gare comme un père
retrouve son fil. Ce fut là, dans cette accolade, qu’il
saisit que leur
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