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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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coquelicot.
    La
victoire avait été si aisée qu'Hitler lui-même
n'en revenait pas. Il revendiquait néanmoins le succès
de cette campagne dont il avait conçu le plan avec le général
Guderian.
     J'ai
beaucoup été aidé par un livre que j'ai lu à
plusieurs reprises, si, si, un livre d'un certain colo nel
de Gaulle, Vers
l'armée de métier, qui
m'a beaucoup appris sur les possibilités qu'offrent des unités
entièrement motorisées dans les combats modernes.
    Hitler
descendit de l'appareil, suivi de quelques artistes allemands, dont
Albert Speer, son architecte. Trois grandes Mercedes noires les
attendaient pour les emmener à Paris.
    Hitler
avait le cœur battant. Il était ému comme une
jeune fille à son premier bal. Depuis l'adolescence, il rêvait
de Paris dont il avait étudié l'architecture,
l'urbanisme, mais où il n'avait jamais encore mis les pieds.
Ce matin-là, il allait le découvrir enfin. Et,
justement, Paris lui appartenait. Etrange visite du fiancé à
sa fiancée pendant que celle-ci est endormie. Comme s'il
n'était pas légitime. Comme s'il n'était certain
de lui plaire. Comme s'il devait commencer sa cour sur la pointe des
pieds.
    Il
traversa d'abord les villes de banlieue, ces brouillons décourageants
qui précèdent le chef-d'œuvre. Enfin,
brusquement, Paris s'improvisa, Paris s'imposa. Les hautes façades
rieuses et ironiques engouffrèrent les trois Mercedes. Hitler
était ébloui par la lumière que renvoyaient le
gris insolent des toits de zinc et la pierre beige des maisons.
    Devant
l'Opéra, le colonel Speidel le guettait. On avait sorti de son
lit le vieux concierge alsacien qui savait parler allemand pour qu'il
l'accompagnât dans une visite commentée.
    Mais
Hitler le fit taire. Il connaissait les plans de l'Opéra par
cœur tant il les avait étudiés, il joua lui-même
le guide pour sa suite ; il n'adressa la parole au vieillard que pour
vérifier une date, un changement ; celui-ci, qui venait de
comprendre à qui il avait affaire, tenta de dissimuler son
dégoût sous une politesse laconique.
    Hitler
s'enthousiasmait.
    — C'est
un rêve de pierre, comme la symphonie est un rêve de
sons. Je mets deux arts au-dessus de tous les autres : la
musique et l'architecture. Car eux seuls introduisent, de force, un
ordre supérieur dans le cours chaotique des choses.
L'architecte met de l'ordre dans les matières, le musicien
dans les sons ; tous deux organisent l'harmonie et lient des éléments
brutaux avec de la poésie spirituelle.
    Il
s'enflamma pour la façade, pour le grand escalier qui valait
tous les spectacles, s'extasia sur le fait que chaque sculpture ou
peinture s'insérait néanmoins dans une pensée
globale.
     Vous
ne comprenez pas, Garnier a réussi ce que Personne n'a réussi
car l'Opéra de Paris est l'œuvre d'un seul homme ! Il a
su utiliser tous les artistes de son époque en les intégrant
à son projet. Une pensé une et totale coiff e
toutes ces exubérances indivi duelles.
C'est beau comme de la politique.
    Il
se tordait le cou, les yeux perdus dans les encorbellements, les
entrelacs de scu lptures
et les ara besques.
     Voyez,
Speer, tous les détails valent le coup d'œil mais seul
compte l'effet général. La forêt cache les
arbres. C'est cela une société parfaite. Si je devais
un jour faire un cours de philosophie politique, j'emmènerais
mes élèves étudier ce chef-d'œuvre.
    Il
était réellement touché par les jeux de couleurs
qu'aucun plan n'avait pu lui faire sentir auparavant. D louait
Garnier d'avoir abandonné le gris farine pour faire chanter
les pierres, leur donner les couleurs de l'orchestre ; le marbre
rouge de Mourèze jouait de la trompette, le vert de Suède
du hautbois, le porphyre du basson et tous les marbres bréchés,
impurs, variés et mélangés formaient la
symphonie des cordes, sarrancolin jaune veiné de blanc pour
les violons, fleur de pêcher chair pour les altos, fleur de pêcher vio lette
aux filons noirs pour les violoncelles.
     Savez-vous,
mon cher Speer, depuis quand on ne bâtit plus d'églises
ou de cathédrales intéressantes ?
     Non,
mon F ü hrer.
     Depuis
la Renaissance ! Depuis qu'on a construit les premiers opéras
! Historiquement, l'opéra remplace l'église en offrant
une liturgie laïque, de l'harmonie, de l'émotion et une
idée de la beauté de l'univers. Pour ma part, je ferai
tout pour hâter le progrès de l'humanité et nous
faire entrer rapidement dans un monde où il n'y

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