La Part De L'Autre
la
pièce, jambes, fauteuils, guéridons, poufs, plateaux,
et parvint, essoufflé, dans le couloir. A sa propre surprise,
personne ne s'était scandalisé de le voir partir sans
mot dire.
A
côté de lui, Werner éclata d'un rire pointu.
Décidément,
tu es rapide.
Je
monte me coucher.
D'accord,
je te suis.
Hitler
fit quelques mètres dans l'escalier avant de se rendre compte
qu'effectivement Werner le suivait. Il se retourna, indigné.
Que
fais-tu ? Où vas-tu ?
Werner,
un instant déconcerté par le visage furieux d'Hitler,
ne savait plus très bien comment réagir. Puis il crut
comprendre qu'Hitler plaisantait.
Il
parcourut les deux marches qui les séparaient.
D'accord.
Puisque avec toi, il faut être direct...
Et
Hitler sentit qu'un corps se plaquait contre le sien et qu'une bouche
cherchait la sienne.
Il
ne crut pas à ce qui lui arrivait. Vite
! Réagir , se
dit-il. L’empêcher
! Le repousser ! Le pousser ! Tant pis s'il tombe ! Réagir !
Ne pas me laisser...
Mais
Werner s'était reculé, horrifié, en poussant un
cri. Son plastron était couvert d'une boue jaunâtre et
molle. Hitler venait de lui vomir dessus.
Salaud
! Salaud ! Mais alors, c'était vrai que tu étais
malade ! Dolferl, Dolferl, réponds-moi, reviens, je ne t'en
veux pas.
Mais
Hitler s'était déjà enfui et réfugié
dans sa chambre. Les trois verrous fermés, il tourna
furieusement autour de son unique chaise.
Il
ne savait pas ce qui le vexait le plus. Avoir été
dragué par un homme ? Etre pris pour un garçon comme ça
? Ne pas avoir compris assez vite ? Ne pas avoir été
capable de repousser Werner ? Lui avoir vomi dessus ? Tout lui était
brûlure, humiliation.
Au
fur et à mesure qu'il formulait ses pensées, qu'il
inventait des réactions enfin appropriées, il se
débarrassait de ses douleurs, il se recomposait. Bientôt,
il ne lui resta plus dans l'esprit que l'essentiel : Wetti. Il ne
fallait pas que Wetti pensât qu'il était comme ça...
Wetti devait apprendre qu'Hitler n'appartenait pas au club des
homosexuels.
Il
voulait qu'elle éprouve ce soulagement — qui serait
aussi le sien —, qu'elle soit persuadée que les
compliments qu'il lui faisait, même s'ils étaient moins
hyperboliques et plus rares, ses compliments à lui étaient
sincères, ils venaient d'un homme, d'un vrai, d'un homme qui a
un désir pour les femmes... le croirait-elle ? Comment la
persuader ?
L'idée
arriva, simple, rayonnante, lumineuse : il devait se déclarer
à Wetti.
Il
se brossa six fois les dents, entreprit une nouvelle toilette au bord
de son lavabo, essaya puis repoussa ses quatre chemises, reprisa son
caleçon et chargea tellement ses chaussures de cirage noir
qu'elles laissaient des traces lorsqu'il marchait. Peu importait !
Rien n'était trop difficile ! Il fallait se préparer à
convaincre Wetti.
Pour
l'heure, le début du plan — la partie lavage — lui
était clair, la suite plus obscure…
Tant pis.
Nous improviserons .
Il
se regonflait avec ce vocabulaire militaire.
Nous
descendrons. Nous attaquerons. Et nous verrons bien comment évolue
la bataille.
Il
appréciait particulièrement le « nous ». En
mettant ainsi plusieurs hommes en lui, il y avait peut-être des
chances qu'il en reste un à l'arrivée.
A
dix heures du soir, sachant que tous les garçons étaient
partis et que Wetti, ponctuelle, allait se coucher, il descendit
silencieusement.
Après
quelques coups à la porte, il entendit une voix ensommeillée
:
Quoi
? Qu'est-ce que c'est ?
C'est
moi, Dolferl.
Il
avait hésité, il avait failli dire Adolf mais avait
craint, au dernier moment, que ça ne parût trop
cérémonieux.
La
porte s'ouvrit, laissant passer le visage inquiet de Wetti.
Dolferl,
vous allez mieux ? Werner m'a dit que vous étiez malade ?
Adolf
faillit faire demi-tour au seul nom de Werner : son passé lui
jaillissait à la gueule, cet horrible efféminé
venait de se coller une deuxième fois contre lui, on ne le
laisserait donc jamais en paix ?
Courageusement,
il se raidit et décida d'ignorer la question.
Wetti,
j'ai quelque chose à vous dire.
Quoi
donc, Dolferl ?
Quelque
chose de très important.
Il
n'arrivait pas à aller plus loin dans son discours et frappa
du pied, agacé. Wetti se méprit et crut qu'il ne
voulait pas parler sur le palier.
Entrez,
mon cher Dolferl, entrez. Mais surtout, ne me regardez pas, je me
préparais à aller me coucher.
Hitler
entra dans le salon avec elle.
Eh
bien ? Que se passe-t-il ? Vous me rendez
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