La Part De L'Autre
folle d'inquiétude,
dit Wetti dont le ton, les mots et les manières affectés
étaient toujours en situation, mais surjoués, comme
une actrice qui se livre à la première lecture d'une
pièce.
Je...
Oui
?
Je
vous aime.
Wetti
hésita un instant, la bouche ouverte, dans la peur de se
tromper sur la prochaine réplique. Elle se décida pour
un grand sourire maternel.
Mais
moi aussi, mon cher Dolferl, moi aussi je vous aime beaucoup.
Elle
avait eu une légère hésitation en prononçant
le « beaucoup ». Hitler en conclut qu'il pouvait aller
plus loin.
Exécution,
les gars ! Le champ est libre.
Non,
Wetti, dit-il en articulant exagérément, je ne vous
aime pas
« beaucoup », je vous aime.
Wetti
se figea.
Chargeons
! Faisons comme Werner avec nous ! Tous à l'attaque !
Et,
rapidement, Hitler parcourut les deux pas qui l’éloignaient
de Wetti et serra le grand corps encombrant dans ses bras.
Wetti,
tel un ballon qui se dégonfle, glissa entre ses mains et
s'effondra en sifflant sur le sol. Hitler était vidé de
son étreinte, comme si rien n'avait existé.
Rampant
sur le tapis, Wetti pleurait à gros sanglots.
Dolferl...
Dolferl... oh, je suis si déçue.
Hitler
crut avoir mal entendu. Le bataillon de soldats réagit d'une
seule voix en lui et s'exclama :
Mais
déçue par quoi, nom de Dieu !
Les
beaux yeux humides et gonflés de Wetti contemplèrent
lentement le jeune homme.
Je
pensais que vous étiez comme eux, comme mes garçons.
Sinon jamais je n'aurais été... oh non jamais je
n'aurais été si gentille avec vous... jamais je
n'aurais posé... oh, mon Dieu... c'est si triste !
Ce
qui suivit acheva de déconcerter Hitler. Wetti se mit à
vagir pis qu'un nourrisson, presque incapable de respirer entre ses
cris, la bouche grande ouverte, le visage écarlate, les
paupières fermées, inondées par une crue de
larmes.
Hitler
alla réveiller madame Stolz, la voisine, lui confia Wetti,
puis remonta chez lui, satisfait. Peu importait la réaction
bizarre de Wetti, il lui avait montré qui il était. Il
avait accompli son devoir d'homme. Il était content.
Il
sombra dans un sommeil d'enclume
Mon
cigare ne vous dérange pas ?
Le
docteur Freud aspirait la fumée de son havane avec un
clappement sec qui faisait songer à l'ouverture difficile d'un
bocal à confiture.
Dans
votre songe, le docteur Bloch joue le rôle du père,
mais pas un père tyrannique qui écrase son fils, non
au contraire, le père bienveillant, libéral, joyeux,
attentif, qui fait pénétrer son fils dans le monde des
adultes. Lorsqu'il vient vous chercher en calèche, il porte
tous les insignes du plaisir : il exprime la fête avec son
smoking, la gaîté avec son champagne, la légèreté
avec ses chansons. La destination inconnue où il vous emmène,
c'est la femme.
Freud
pompa son havane. Il le trayait avec des bruits de bouche puérils,
pressait le pis pour en extraire la fumée, l'avalait
gloutonnement, suivait avec béatitude le trajet intérieur
de la nuée lactée et semblait faire un rot dans ses
poumons. Il avalait plus de fumée qu'il n'en rejetait. Où
allait-elle ?
Vous
descendez ensuite de voiture pour monter sur une gondole. Les eaux
plates, noires et tranquilles que vous allez parcourir sont l'image
de votre sexualité
Pardon
? ;|
Vous
vous êtes jusqu'ici refusé à toute vie sexuelle,
vous avez endigué vos pulsions, tenté de les faire
mourir, ou du moins de les endormir. Tel est l'état de vos
désirs au début du rêve. Mais tel est l'état
que vous souhaitez quitter en entrant dans le palais mystérieux.
Adolf
frissonna de plaisir, il avait l'impression de revivre son rêve
sur un autre plan, à un étage plus intellectuel. Sans
les couleurs, sous une lumière blanche, vive, mercurienne,
avec des volumes qui se réduisaient aux traits, et cependant
il retrouvait ses émotions intactes, plus franches même,
tranchantes, découpées.
On
pourrait croire que ce bâtiment est un bordel mais, dans votre
logique, il s'agit plutôt de la maison des femmes, ou mieux
encore, la maison de la Femme. Toute la bâtisse, obscure,
sombre, secrète, avec des escaliers qui s'envolent on ne sait
où, symbolise la Femme. Elle comprend trois niveaux que vous
allez gravir, à l'issue de quoi, vous aurez effectué
un véritable voyage initiatique.
Freud
se pencha vers Adolf, les sourcils froncés.
Soufflez.
Adolf,
surpris, ouvrit la bouche et obéit. L'air recommença à
circuler en lui. Il était tellement passionné par
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